C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
nul ne sait ce qu’il pense.
« Depuis 1952 jusqu’en 1955, dira-t-il, j’allais employer six années à écrire mes Mémoires de guerre sans intervenir dans les affaires publiques, mais sans douter que l’infirmité du système aboutirait tôt ou tard à une grave crise nationale. »
Le système, certes, mais aussi la guerre d’Algérie. De Gaulle ne cesse de regarder de ce côté-là. Et c’est à cause de l’Algérie que, le 5 novembre 1957, Jacques Chaban-Delmas demande à Eugène Motte de lui « prêter Léon Delbecque ».
Cette guerre d’outre-Méditerranée pourrit tout. De mois en mois, la communauté européenne d’Algérie voit grandir son angoisse. Venir à bout de l’insurrection musulmane ne lui paraît pas impossible, loin de là. Encore faut-il que Paris le veuille vraiment. L’inquiétude s’est précisée à la suite de la victoire de la gauche aux élections du 2 janvier 1956. Aussitôt après avoir reçu l’investiture, le socialiste Guy Mollet a annoncé l’une de ses premières mesures : remplacer à Alger Jacques Soustelle, partisan convaincu de l’intégration de l’Algérie à la France – la fameuse intégration – par le général Catroux, grand chancelier de la Légion d’honneur. Or des propos tenus par Catroux ont semblé signifier qu’il viendrait en Algérie pour appliquer une solution libérale : tout ce que redoutent les Français d’Algérie. Dès les premiers jours de l’année, deux d’entre eux, André Achiary et Mario Faivre – qui, en première ligne, avaient aidé au débarquement du 8 novembre 1942 et contribué à l’élimination de Darlan – se sont présentés à Paris chez l’avocat Jean-Baptiste Biaggi, baroudeur type, conjuré de nature. Faivre, valeureux combattant, chevalier de la Légion d’honneur à vingt-trois ans, a connu Biaggi dans les commandos de France. Il ne cache pas son anxiété devant l’arrivée au pouvoir de la nouvelle majorité. Déjà Paris a « liquidé » la Tunisie et le Maroc. Bientôt, si l’on n’y prend pas garde, ce sera le tour de l’Algérie. Une telle perspective, Faivre la refuse catégoriquement :
— Nous nous battons le dos au mur. Nous sommes venus, il y a quelques années, libérer la France. Maintenant, c’est à vous de nous rendre la pareille.
Biaggi n’hésite pas un instant. On va partir pour l’Algérie et, là, on empêchera Catroux de débarquer. On ira plus loin : on profitera de l’occasion pour fomenter une insurrection à Alger en espérant qu’elle convaincra Paris que les Français d’Algérie ne se laisseront pas faire. Jamais.
La suite, on la connaît. Le 6 février 1956, Guy Mollet, accueilli à Alger sous une grêle de projectiles, restera pendant trois jours prisonnier de l’émeute. Sous la pression de celle-ci, il remplacera Catroux par Robert Lacoste.
La journée des tomates peut être considérée comme, la répétition générale du 13 mai 1958. Jean-Baptiste Biaggi a trouvé à Alger des appuis précieux : Robert Martel, viticulteur à Chebli, animateur de l’Union française nord-africaine (UFNA) au sein de laquelle milite aussi un cafetier d’Alger, Joseph Ortiz. Et aussi l’appui du Comité d’entente des anciens combattants. Biaggi est gaulliste. Un autre gaulliste l’a accompagné à Alger, Alain Griotteray. Tous ces noms-là se retrouveront au 13 mai.
C’est à la fin de 1956 que des gaullistes agissants vont prendre conscience que l’appel à de Gaulle, non seulement s’impose, mais devient possible. Lucien Neuwirth – que nous allons retrouver au premier rang de l’affaire du 13 mai – en est resté convaincu. Il m’a confié :
— L’affaire de Suez a confirmé la terrible impuissance où s’était précipitée la France. C’est après cette nouvelle amertume que nous nous sommes dit que seul le retour de De Gaulle pouvait nous sortir de là. Et qu’est née parmi nous la volonté de pousser à ce retour.
Dans cette perspective, l’année 1957 se révèle catastrophique. Le 16 janvier, en Algérie, des activistes tentent d’assassiner le général Salan, à peine nommé au commandement en chef. Certains jurent que l’attentat – l’affaire du bazooka – a été fomenté par des gaullistes. L’usage de la torture au sein de l’armée française est révélé au grand jour. Pour comble de malheur, la France traverse une grave crise économique. Les caisses sont vides. Chaque nouveau président du Conseil
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