C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
réappris à user d’une remarquable liberté de langage. L’air que l’on respirait à Budapest ne ressemblait que de très loin à l’atmosphère accablante qui restait de règle dans d’autres démocraties dites populaires. L’heure de la liberté retrouvée sonnera, telle une postface, lorsque le Rideau de fer, en 1989, se lèvera sur une nouvelle Europe.
Comment ne pas songer à l’écrivain hongrois Miklos Molnar, rédacteur en chef de la Gazette littéraire , témoin et acteur de la révolution de 1956 et qui, en son exil suisse, a intitulé le livre qu’il lui a consacré : Victoire d’une défaite (77) ?
VI
Le grand complot pour de Gaulle
13 mai 1958
De mémoire d’huissier, jamais on n’a vu autant de monde dans l’enceinte du Palais-Bourbon. Pas un député absent de son banc ; les rangs du public et de la presse surchargés au-delà de toute prudence ; surtout, à la tribune, en civil, la longue et massive silhouette du « plus illustre des Français ». Écouté dans un silence absolu, s’exprimant d’une voix plus sourde que naguère – sans omettre les fameuses finales traînantes – Charles de Gaulle lit la déclaration que les députés devront accepter ou refuser :
— En ce temps même où tant de chances, à tant d’égards, s’offrent à la France, elle se trouve menacée de dislocation et peut-être de guerre civile. C’est dans ces conditions que je me suis proposé pour tenter de conduire une fois de plus au salut le pays, l’État, la République…
On applaudit, sans plus. Il quitte l’hémicycle, lunettes et feuillets à la main, laissant derrière lui un banc vide : celui du gouvernement. Dix-sept orateurs, tous contestataires, vont succéder au président du Conseil désigné par René Coty, dont François Mitterrand qui ne veut pas oublier que de Gaulle, s’il se propose aux suffrages de l’assemblée, le fait « présenté et appuyé d’abord par une armée indisciplinée ». Est-ce parce qu’ils s’adressent à un banc vide que ces opposants ont l’air de ne parler à personne ? Le siège des députés est fait. Le vote va le prouver : 329 voix contre 224. Dès que le président André Le Trocquer annonce le résultat, tous ont compris : la IV e République est morte. Le pouvoir appartient à de Gaulle.
Qui songerait à s’en étonner ? Le 13 mai 1958, les civils et militaires s’emparaient du siège du Gouvernement général à Alger. Le 1 er juin – dix-huit jours plus tard –, Charles de Gaulle obtient l’investiture des députés.
Il faudra de longs mois pour que les Français découvrent que la révolution en apparence la plus aisée s’est accomplie malgré des traverses qui, cent fois, ont failli en compromettre l’aboutissement. Plus de temps encore pour comprendre que le retour de Charles de Gaulle au pouvoir ne se serait point réalisé sans une préparation conduite avec une science qu’eût applaudie Machiavel lui-même. L’art suprême de De Gaulle avait été de paraître ignorer ces complots et de s’en être délibérément tenu à l’écart, même aux yeux des conjurés eux-mêmes. C’est d’avoir su aussi, aux moments où il le fallait, utiliser tous les fils que d’autres tendaient.
Le point de départ de l’opération ? On peut le situer à la date du 5 novembre 1957.
Ce jour-là, Jacques Chaban-Delmas, nommé le jour même ministre de la Défense nationale, appelle au téléphone l’industriel lillois Eugène Motte :
— Cher ami, j’ai besoin de Delbecque. Laissez-le-moi un mois ou deux et je verrai ensuite.
Réponse de Motte :
— C’est un grand honneur pour lui et pour moi.
Léon Delbecque est directeur commercial de la filature Motte. L’industriel va le mettre en congé – en continuant de lui verser son salaire – et l’envoyer à Paris. Ce fils d’ouvrier, athlétique et de belle allure, yeux clairs et cheveux bruns, ancien militant de la JOC, a découvert le gaullisme dans la Résistance. Après la guerre dont il est revenu sous-lieutenant et portant la tracé de graves blessures, il a trouvé un emploi chez Eugène Motte, gaulliste lui aussi. Quelque temps plus tard, il est devenu secrétaire général de la Fédération du Nord des républicains sociaux qui regroupe les restes anémiés du Rassemblement du peuple français (RPF), fondé en 1947 par le général de Gaulle et dissous par lui en 1953. En 1957, le mouvement compte seulement une dizaine de milliers
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