C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
l’Alsace, la Lorraine, la Corse, la Bretagne. Il nous restera l’Auvergne, parce que personne n’en voudra (83) .
En mai 1957, au général Catroux :
— Écoutez, Catroux, si j’étais le gouvernement de la France, je ne me laisserais pas arracher une indépendance, je l’octroierais. Le France donne, on ne lui enlève pas !
En octobre de la même année, au prince Moulay Hassan du Maroc :
— L’Algérie ? Mais elle sera indépendante, qu’on le veuille ou non, c’est inscrit dans l’Histoire !
Le 8 février 1958, Maurice Schumann lui demande si, resté au pouvoir, il n’aurait pas joué en Algérie la carte de la fédération.
— D’une fédération d’ États ! gronde de Gaulle.
Exprès, il appuie sur le dernier mot.
Stupéfait, Schumann l’entend exposer la manière dont il aurait offert aux Algériens une triple option : sécession, francisation, association. Évoquant devant moi cette extraordinaire conversation, Maurice Schumann m’a dit :
— En somme, j’ai été le premier à entendre son discours du 16 septembre 1959. Ceci le 8 février de l’année précédente.
Le plus étrange est que de Gaulle, insensiblement, est passé de l’imparfait, non pas au présent, mais au futur. Tout à coup, il a dit « Je ferai ».
Maurice Schumann se sent aussitôt libre d’employer, lui aussi, le futur :
— Cette troisième solution sera-t-elle choisie ?
— En tout cas, elle ne sera pas imposée.
Ce jour-là, Maurice Schumann prend congé du Général en lui disant :
— Je n’ai pas cru à votre retour. J’y ai cru moins que jamais au moment du RPF. Je ne suis plus du tout du même avis.
Le récit de cette entrevue mémorable, je l’ai écouté dans le cabinet de travail de Maurice Schumann. Je ne parvenais pas à quitter des yeux, placée sur son bureau, une grande photographie de Charles de Gaulle. Au bas, cette dédicace : « À Maurice Schumann, qui fut un des premiers, un des meilleurs, un des plus efficaces. »
— Cette photographie, me dit Maurice Schumann, je l’ai reçue deux jours après notre entrevue du 8 février.
Comment nier l’évidence ? Au début de 1958 – l’année du 13 mai – de Gaulle ne croit pas que l’indépendance de l’Algérie puisse être évitée. Son vœu essentiel est que l’indépendance puisse s’accomplir dans l’amitié et, si possible, dans l’association. Il estime que son retour au pouvoir facilitera celle-ci.
Le paradoxe est que, pour garder l’Algérie, des Français, de part et d’autre de la Méditerranée, vont justement en appeler à de Gaulle.
Pas de doute : si l’opinion méprise de plus en plus le régime, les gaullistes soufflent sur ce dédain. Un grand nombre d’entre eux pensent que la clé du retour au pouvoir du Général passe par Alger. Mais comment prendre pied à Alger ? Grave question. Grâce au concours de l’armée ? L’armée, en Algérie, c’est le général Salan. Il n’est pas gaulliste. Pas plus que l’ensemble de la population d’origine européenne.
Au cours de tous ces mois-là, Jacques Soustelle se montre extrêmement préoccupé par ce problème, essentiel à ses yeux. L’itinéraire de Soustelle est remarquable. Il a fait ses premières études à la communale, à Lyon. À dix-sept ans, il entre à Normale supérieure. À vingt ans, il est agrégé de philosophie. Il passe alors trois années au Mexique pour mener à bien sa thèse. À vingt-cinq ans, il est nommé sous-directeur du musée de l’Homme.
En ce temps-là, Soustelle milite dans les rangs de la gauche antifasciste. Rallié au Front populaire, il devient secrétaire de l’Union des intellectuels antifascistes. Parallèlement, il poursuit ses travaux sur la civilisation et la langue aztèques. La guerre va changer toute sa vie.
Dès juillet 1940, Jacques Soustelle gagne Londres. D’abord commissaire à l’Information de la France libre, il devient, en 1943, chef des services secrets du Comité de libération nationale. Surtout, découvrant l’homme de Gaulle, il s’est, comme tant d’autres, senti littéralement fasciné. Dès lors, il va lui vouer un véritable culte. Après la Libération, on le voit député à la Constituante, puis ministre de l’Information. Il sera secrétaire général du RPF, député du Rhône. Il apparaît aux gaullistes comme l’archétype de la fidélité.
Janvier 1955 : Mendès France nomme Soustelle gouverneur général de l’Algérie. Il
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