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Chasse au loup

Chasse au loup

Titel: Chasse au loup Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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fait bien les affaires de l’Empereur qui...
    Lefine s’étrangla sur cette phrase tandis que Margont s’empressait de s’assurer que personne n’avait entendu. Une critique de l’Empereur pouvait vite vous faire passer pour un espion subversif, un royaliste, un vendu aux Vendéens, un comploteur jacobin... Ces dernières années, en France, la liberté d’expression bégayait de plus en plus. Lefine reprit un ton plus bas :
    — L’Empereur abuse ! Qu’est-ce que la moitié de l’armée fout en Espagne à s’entr’égorger avec les Espagnols, les Portugais et les Anglais ? On devait juste mettre un orteil en Espagne et voilà qu’on s’y retrouve enlisés jusqu’au cou. Quand est-ce qu’il y aura enfin la paix ? Quand on sera tous morts ? Et vous, vous vous embarquez dans cette affaire ! Tout ça parce que cette histoire vous apitoie et que vous croyez encore qu’il faut aider son prochain ! Quatre ou cinq ans de guerre de plus et, quand tous les autres auront été tués ou auront perdu tout espoir, vous serez le dernier républicain humaniste.
    Lefine avait prononcé ces mots avec dérision. Il éclata de rire et s’appuya d’une main contre un tronc, narquois.
    — Le monde est fou, mais vous n’êtes pas le moins atteint ! Sauf votre respect, mon capitaine.
    Margont s’énervait. Il n’était pas susceptible, mais un peu quand même. En fait si, il l’était. Bon, et alors ?
    — Je fais ce que je veux ! Il y a des gens qui vont soigner les lépreux ou les pestiférés, d’autres qui donnent leur fortune aux pauvres... Je ne sais pas, moi, il y a ceux qui ne vivent que pour eux et ceux qui existent aussi un peu pour les autres.
    — Tout à fait d’accord. Simplement, nous ne plaçons pas du tout le juste milieu au même endroit. Laissez donc faire les policiers autrichiens.
    — J’y ai pensé. Mais où se trouvent-ils, les policiers autrichiens ?
    Effectivement. De l’autre côté du Danube, avec l’archiduc Charles. Ou dans les forêts, à guetter quelques Français trop aventureux...
    — Si encore tout s’arrangeait avec la paix, reprit Margont d’une voix vive. Mais tu as entendu comme moi Relmyer ! On se soucie à peine de la vie de quelques adolescents orphelins ! On préfère bâcler l’enquête pour ne pas faire de bruit parce que cela arrange certains. La vie est tellement plus simple quand on ferme les yeux ! Et toi, tu me demandes de faire comme tous ces gens-là ? Eh bien, non ! Qui a levé la main pour m’aider quand ma famille m’a fait enfermer contre mon gré dans cette abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert pour m’obliger à devenir moine ? J’avais six ans et j’y ai passé de force quatre ans de ma vie ! Quatre ans !
    Lefine était consterné.
    — Vous comparez votre histoire à celle de Relmyer ? Oh, le dangereux mélange ! Catastrophe !
    — Beaucoup de gens étaient au courant, mais se disaient : « Ce ne sont pas nos affaires. » Un jour, j’ai interpellé le marchand de vin qui fournissait l’abbaye. Il m’a répondu : « Mon petit, tu n’es pas mon fils. » Oui, mais le problème, c’est que mon père était mort. À qui devais-je m’adresser alors, à part au Ciel ? D’ailleurs, ce n’est pas Dieu qui m’a libéré, mais la Révolution.
    Margont cessa de crier, mais le ton de ses paroles anéantissait toute idée de négociation.
    — Donc je vais m’occuper de cette affaire. Parce que, ainsi, je réglerai quelques comptes avec mon passé, même si ce n’est qu’indirectement. Je suis convaincu que cela m’aidera à ranger certains souvenirs dans des tiroirs que je pourrai enfin fermer et oublier.
    Margont sourit. Il rit, même. Il se sentait mieux d’avoir pu formuler clairement ce qu’il ressentait au plus profond de lui.
    — Tu n’es pas obligé de m’aider, Fernand. Comme tu le vois, en fait, c’est une affaire très personnelle.
    Il se releva et entreprit de corriger sa tenue.
    — Finalement, je ne suis pas qu’un Bon Samaritain... fit-il remarquer. Puis-je compter sur toi ?
    — Bien sûr. Parce que vous êtes mon meilleur ami. Je ne suis pas qu’un égoïste... Hélas pour moi...
    Margont s’en réjouit ouvertement. Sa relation avec Lefine était complexe. Margont était trop idéaliste, il nageait dans les utopies et s’obstinait à vouloir les concrétiser. Lefine se montrait en tout point l’inverse : pragmatique, débrouillard et au bon sens ancré dans le quotidien.

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