Chasse au loup
Margont avait besoin de Lefine, car celui-ci l’aidait à garder les pieds sur terre. En échange, il lui apportait l’excitation enivrante des velléités de changements et l’ampleur des Grands Projets. En somme, ils trouvaient ensemble un équilibre entre rêves et réalité, équilibre qu’ils ne parvenaient pas à atteindre chacun séparément. Plusieurs années de guerre avaient consolidé cette amitié, d’autant plus qu’ils s’étaient mutuellement sauvé la vie.
— Alors, allons trouver Relmyer, qu’il nous conduise à son ancien orphelinat, décréta Margont.
— Mais je persiste à dire que c’est un bien dangereux mélange.
CHAPITRE VIII
Une partie de l’armée campait dans l’île de Lobau, dont le 4 e corps ainsi que la réserve de cavalerie du général Lasalle. Relmyer servant dans cette dernière, il n’était séparé du 18 e de ligne que par une promenade. Mais la marche fut plus longue que prévu à cause des encombrements causés par les convois d’artillerie. L’île de Lobau et ses alentours se hérissaient de canons. Des canons sur les îles Masséna (on baptisait chaque îlot du nom d’un maréchal, d’un héros de l’Empire, d’un allié...), Saint-Hilaire, Lannes, Alexandre... Des pièces de six, de douze et même de dix-huit livres, des obusiers... Sans parler des gigantesques canons de siège saisis dans les arsenaux de Vienne que les Autrichiens, dans la précipitation de leur retraite, avaient oublié de saboter. En tout cent treize bouches à feu. Attaquer aurait été suicidaire pour les Autrichiens. Napoléon roquait pour se protéger, mais il le faisait de telle sorte qu’il bloquait par là même ses adversaires et reprenait l’initiative. Désormais, l’archiduc Charles se voyait contraint d’attendre l’assaut des Français. Il est vrai cependant qu’il se préparait à les recevoir de pied ferme, accumulant les retranchements du côté d’Aspern et d’Essling.
Comme à son habitude, Relmyer s’entraînait. Plus inattendu, des spectateurs l’observaient, à distance. Parmi eux se trouvait Saber. Margont s’approcha de lui.
— Que fais-tu là ?
— J’apprends, répondit Saber dans un murmure admiratif. Si jeune et déjà si doué... Il me ressemble.
Margont, coutumier de la vanité époustouflante de son ami, se contenta de contempler à nouveau Relmyer. Certes, les attaques de celui-ci semblaient diablement précises. Mais elles étaient donc extraordinaires à ce point ? Saber était lui aussi un fin duelliste et, encore une minute auparavant, Margont le plaçait au-dessus de Relmyer.
— Il est meilleur que toi, Irénée ?
— Il m’étendrait raide mort en moins de dix secondes. Il me surpasse, concéda-t-il. Exclusivement dans ce domaine-là, évidemment.
Margont ne se remettait pas de sa surprise. Saber ne complimentait jamais autrui (excepté les femmes, qu’il flattait en espérant ainsi les séduire, comme si elles étaient aussi avides que lui de ce petit-lait-là). Décidément, Relmyer était l’homme de tous les miracles.
Le jeune hussard se fendait, battait en retraite tout en parant une pluie de coups imaginaires, et repartait soudainement en avant, attaquant, feintant, esquivant... Pour Margont, tout cela était pareil à un chant grégorien : fort beau, mais incompréhensible. Saber, lui, possédait les compétences nécessaires pour juger et il s’émerveillait, allant jusqu’à se tapoter la cuisse pour se retenir d’applaudir.
— Il ne vit que pour l’art de l’épée, ajouta-t-il à mi-voix, sans détourner la tête.
C’était totalement faux. La plupart des gens ne voyaient que la surface de Relmyer. Celle-ci était brillante, alors ils n’allaient pas chercher plus loin. Sa violence dissimulait sa souffrance.
— Il possède un talent naturel et la rage d’apprendre. On le surnomme la Guêpe... Bézut l’avait pris comme élève. Hélas, ils se sont fâchés.
Bézut ? Probablement encore un célèbre maître d’armes régimentaire. Saber connaissait les plus illustres d’entre eux. Il aurait été leur biographe s’il n’avait pas eu à coeur de se consacrer exclusivement à son autobiographie.
— J’ai su cela par l’un de ses cavaliers, expliqua Saber.
Pagin, très certainement. D’autant plus que celui-ci faisait partie des spectateurs.
— Pourquoi s’exercer si dur au sabre alors qu’il existe des pistolets ? s’interrogea Margont à voix haute.
— Quand
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