Chasse au loup
Napoléon triomphe, elle s’empressera de s’allier à nouveau avec lui, pour atténuer sa colère et limiter l’ampleur des sanctions !
Relmyer s’amusait de l’ironie de ces renversements incessants de situation.
— Beaucoup d’Autrichiens sont patriotes, déclara-t-il. Mais ceux qui ménagent la chèvre et le chou sont aussi nombreux. Et ces derniers, que font-ils d’autre sinon imiter leur empereur François I er , qui retourne sa veste après chaque défaite ?
Là, il se mit à rire de son insolence.
— Mais revenons à notre enquête. Mme Blanken sera invitée. Elle fait partie des incontournables de ce genre de réceptions. Mieux, d’après Luise, elle se range dans le camp des mi-figue mi-raisin. Durant le bal, nous pourrons l’approcher. Alors, peut-être parviendrons-nous à l’amadouer et à l’interroger. M’écoutez-vous ?
— Absolument, répliqua Margont.
Il accordait son attention à Relmyer, mais il pensait également à Luise. Il allait donc la revoir. Produirait-elle le même effet sur lui que la première fois ?
— La soirée aura lieu le 31 mai. Nous avons tout juste le temps de préparer nos uniformes d’apparat. Je serais heureux que Lefine se joigne à nous. Sans lui, nous...
Il n’acheva pas sa phrase.
— Et le fameux Piquebois ! s’exclama-t-il. C’est un ancien hussard, donc je tiens à ce qu’il soit des nôtres. D’ailleurs, avez-vous d’autres amis ?
Margont indiqua du regard la silhouette qui s’éternisait sous un saule.
— Le lieutenant Saber, qui bouillonne là-bas, et le médecin-major Brémond.
— Ils seront les bienvenus ! Vous allez voir ce qu’est un bal viennois. Un pur moment de magie.
CHAPITRE IX
Margont se rendit à cette soirée en compagnie de Lefine, de Jean-Quenin Brémond et de Relmyer. Saber et Piquebois, libérés plus tôt de leurs obligations, s’y trouvaient déjà.
Leur traversée nocturne de Vienne eut quelque chose d’irréel. L’obscurité accentuait la majesté des bâtiments et Margont croyait distinguer le fantôme du Saint Empire romain germanique. Celui-ci, blessé à mort à Austerlitz, avait agonisé jusqu’en juillet 1806. Napoléon l’avait achevé en le démembrant. Il avait ainsi affaibli l’Autriche et créé la Confédération du Rhin, une constellation d’États allemands dont les orbites tournaient autour de la France. Vienne était occidentale, clairement, et, pourtant, l’Orient manifestait lui aussi sa présence sans que l’on pût expliquer cette impression. Les Turcs n’assiégeaient plus Vienne depuis longtemps, mais la ville avait conservé leur trace, l’empreinte de leur culture extraordinaire. Régulièrement, une énorme trouée de nuit faisait irruption dans la longue et grandiose succession des façades. Les rues et les avenues portaient les balafres des mille huit cents boulets et obus qui s’étaient abattus sur elles dans la nuit du 11 mai. La capitale avait en effet tenté de résister avec quinze mille soldats et une partie de la population. Napoléon savait se montrer magnanime envers ceux qui se soumettaient à lui, mais il se révélait redoutable vis-à-vis de toute velléité de résistance. Après ce premier déluge de projectiles et ses cortèges d’incendies qui avaient marqué la nuit au fer rouge, l’Empereur s’était préparé à anéantir la ville en trente-six heures de bombardement généralisé. Vienne avait capitulé. Napoléon avait aussitôt fait lire à ses soldats une proclamation annonçant qu’il prenait les « bons habitants » de Vienne sous sa « spéciale protection ». Le texte stipulait en outre que les « hommes turbulents et méchants » subiraient une « justice exemplaire ».
Vienne était à la fois passé et présent, Occident et Orient, monuments et ruines, grandeur et blessures... Un creuset propice à tous les mélanges.
La propriété des Mitterburg était entourée d’un jardin ceint d’une grille. Le vaste édifice à la façade ocre évoquait un palais vénitien baigné par la lagune. Relmyer leur apprit que les Mitterburg avaient fait fortune dans le commerce du café. Le grand-père, aujourd’hui décédé, affectionnait tant cette boisson qu’il en avait fait son métier. Il avait accompli l’effort d’apprendre le turc afin de mieux négocier ses importations, entre deux guerres austro-turques. Or cette boisson devenait toujours plus populaire. Les cafés fleurissaient en Europe, les soldats
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