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Chasse au loup

Chasse au loup

Titel: Chasse au loup Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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prochaine danse. Hélas, cette insistance était inconvenante et Mme Mitterburg surveillait sa fille. Elle expédia le premier pantin qui lui tomba sous la main pour déloger Margont. L’homme se figea devant Luise pour l’inviter, son épaule frôlant celle de Margont, déjà prête à donner un coup pour éjecter ce Français trop tenace. Il s’agissait d’un Autrichien élancé et squelettique, fils d’une bonne famille amie des Mitterburg. Il servait dans la milice viennoise et s’était empressé de ne pas bouger quand les Français s’étaient approchés de Vienne. S’il avait marché en avant, il aurait dû les combattre. S’il avait reculé, il aurait été contraint de rejoindre l’armée autrichienne. En se pétrifiant, il s’était laissé capturer et Napoléon, souhaitant ménager les Viennois, avait amnistié et libéré tous les miliciens à condition qu’ils retournent dans leurs familles.
    Margont s’éloigna. Il entendit Luise déclarer avec étonnement à son nouveau cavalier :
    — Mon Dieu, l’armée autrichienne vous a oublié durant sa retraite ! Il est vrai que, lors d’un départ précipité, on n’emporte que l’essentiel.
    Margont se fondit dans les spectateurs qui devisaient en plusieurs langues. Il apercevait Luise et la perdait de vue au gré des mouvements des couples. Le charme s’était rompu, la musique était redevenue de la musique et, pour comble, Margont porta la main à son flanc. L’effort avait ravivé la douleur qui, elle-même, réveilla en lui des souvenirs décousus du carnage d’Essling. Les mélodies harmonieuses des violons se mêlèrent aux fusillades et aux explosions et les robes rouges devinrent couleur sang.
    Mme Mitterburg vint se présenter à lui. Ses cheveux blancs, sa peau ridée, ses mains aux veines saillantes, sa voix enrouée : chaque parcelle de son corps soulignait l’importante différence d’âge qui existait entre sa fille et elle. Margont l’enviait de connaître tant de choses sur Luise.
    — Luise m’a beaucoup parlé de vous, précisa-t-elle.
    « Trop, d’ailleurs », pensait-elle avec inquiétude.
    Mme Mitterburg écouta poliment Margont expliquer en autrichien dans quel régiment il servait.
    — Mais je ne suis soldat que parce que nous sommes en guerre, s’empressa-t-il de préciser. Dès que tout sera fini...
    Il trébucha sur le flou de cette formule. Que désignait ce « tout », il ne le savait même plus. La guerre finirait-elle un jour ? On se battait pratiquement sans discontinuer depuis la Révolution et les brèves périodes de paix sentaient la poudre. Il lui semblait que l’on était reparti pour une guerre de Cent Ans.
    — Eh bien, lorsqu’il y aura enfin la paix, je lancerai un journal.
    La vieille dame écoutait poliment en clignant de temps en temps des yeux. Son absence de commentaires rendait difficile l’interprétation de ses sentiments. Comme le mot « journal » enivrait toujours Margont, celui-ci se lança dans un long discours sur son projet.
    — Les mots luttent contre l’insipidité du quotidien et peuvent changer le monde ! Les journaux et les livres stimulent l’esprit. Peu importe que l’on soit d’accord ou pas, que l’on rie ou que l’on pleure, que l’on se mette en colère ou que l’on applaudisse. La seule chose qui compte, c’est qu’il se passe quelque chose – n’importe quoi, en fait ! –, qui nous fasse réagir. Et cette réaction, composée de sentiments, d’opinions et de nouvelles idées, vient s’ajouter aux autres mots. Elle alimente à son tour les débats, elle augmente et propage l’ampleur de cette « réaction chimique » !
    Son débit s’accéléra, son autrichien flancha et, lorsqu’il s’en rendit compte, il s’empressa de conclure, persuadé que son auditrice ne l’écoutait plus.
    — Bref, j’espère que mon journal, du fait des polémiques et des idées qu’il donnera à lire au public, participera à tous ces courants de pensées qui animent et transforment le monde.
    Mme Mitterburg cligna des yeux.
    Il y eut un blanc, ce genre de silence durant lequel on fait défiler à toute allure dans sa tête l’éventail des phrases banales qui permettraient de relancer la conversation, l’air de rien. L’interruption se prolongeait. Mme Mitterburg fixait toujours Margont. Celui-ci se demanda si elle n’essayait pas, tout simplement, de deviner ce qui, chez lui, avait bien pu retenir l’attention de sa

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