Chasse au loup
Fahne, des chasseurs volontaires viennois. Cinq morts à Austerlitz ? C’est considérable !
— Il y a eu beaucoup de victimes autrichiennes à Austerlitz, intervint Luise.
— Malgré tout, c’est un chiffre étonnamment élevé, précisa Margont. Cela représente la moitié de ceux qui ont prétendument choisi une carrière militaire. Pourtant, à la bataille d’Austerlitz, l’armée autrichienne a subi une proportion de tués presque dix fois moindre.
Relmyer continuait à désigner des noms.
— Et là ! Ferdinand Rezinski ! Disparu en juillet 1803 et mort à la bataille d’Elchingen, en octobre 1805. Et celui-ci, Georg Knesch, disparu en janvier 1807 et mort à l’entraînement en mai 1807, dans l’ Infanterieregiment 49 baron Kerpen. Sur les dix personnes soi-disant devenues soldats, sept sont décédées ! Dont Mark, Albert et Ernst ! Or eux, je jure sur le Christ que jamais rien n’aurait pu les obliger à choisir la voie militaire.
— On a truqué les registres de l’armée, conclut Margont. Peut-être que certains de ces jeunes gens ont réellement péri à Austerlitz. Mais, effectivement, il suffit de rajouter un nom sur une longue liste de morts au champ d’honneur pour qu’une disparition soit mise sur le compte des combats. Et tout comme Franz et Wilhelm, il s’agit d’adolescents orphelins. Je pense que nous avons affaire au même assassin. Celui que nous recherchons est un corbeau, un charognard : il prospère sur les charniers. C’est grâce à la guerre qu’il a pu faire un si grand nombre de victimes sans attirer l’attention. Il doit se réjouir de tout coeur quand un conflit est sur le point d’éclater, il doit même le souhaiter. Peut-être fait-il partie de tous ces pousse-à-la-guerre. Je l’imagine bien aider le monde à basculer dans le chaos en excitant les esprits belliqueux, afin de se livrer plus facilement à ses penchants en dissimulant ses traces dans les fosses communes ! Regardez, nous ne sommes même pas capables de faire le tri entre les décès qu’il faut lui imputer et ceux qui sont dus aux affrontements.
— Au moins Mark, Albert et Ernst, assura Relmyer.
En ajoutant Franz et Wilhelm, on passait déjà à cinq victimes.
— Plus, en fait. Car, pour rester discret, il a sûrement dû frapper dans différents orphelinats. L’un des « morts d’Austerlitz », ce Karl Fahne, était de l’orphelinat de Baumen et la « victime d’un entraînement » et celle d’« Elchingen », de celui de Granz.
Tout devenait pire que ce que Margont avait imaginé. Il n’arrivait même pas à concevoir pareille abomination. Il s’était lancé dans cette affaire avec trop d’assurance. Maintenant, il se retrouvait au bord d’un abîme dont la seule vue lui donnait le vertige. Il lui fallait des mots, de la raison, de la logique. Il allait une nouvelle fois analyser la situation. De la même façon que Jean-Quenin Brémond, ébranlé par un échec thérapeutique, autopsiait un patient décédé d’une maladie indéterminée.
— Sur les sept personnes de ce carnet qui se sont prétendument engagées dans l’armée et qui sont mortes, deux ont disparu en 1803, deux en 1804, deux en 1805 et une en 1807. Mais c’est à partir de 1805 que leurs noms apparaissent dans les registres militaires. On peut supposer que le coupable s’est beaucoup inquiété de l’enquête déclenchée par la découverte du corps de Franz, en 1804. C’est pourquoi il s’est débrouillé par la suite pour manipuler les registres de l’armée. Cet assassin dissimule habilement ses crimes. Les deux seules fois où l’on a retrouvé les cadavres de ses victimes, c’est parce qu’il a été pris de court. Ce fut le cas pour Franz, car, en s’apercevant de votre fuite, il a su que vous alliez donner l’alerte, et pour Wilhelm, parce qu’il a été surpris par une patrouille. Mais je ne comprends pas pourquoi il les a ainsi balafrés tous les deux. A-t-il fait de même avec les autres ? Ce sourire le trahit et constitue un indice important. Pourtant cet homme essaie d’en laisser le moins possible. On dirait qu’il ne peut pas s’empêcher de mutiler le visage de ceux qu’il assassine, que ce geste s’impose à lui. Quand nous comprendrons pourquoi il agit ainsi, nous en apprendrons beaucoup sur lui.
Relmyer fixait le carnet, obnubilé. Margont continuait à faire le point.
— Plusieurs personnes ont tenté d’arrêter le bourreau de Franz et de
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