Chasse au loup
protéger ceux auxquels il risquait de s’en prendre, s’il venait à récidiver. Mais toutes ces bonnes volontés ont été bernées par ce meurtrier. La police a échoué. Ce lieutenant-colonel, ce Mallis, ne s’est pas inquiété de retrouver autant de disparus tués à Austerlitz. Il a dû attribuer cela au hasard, à la malchance. Quant à Mme Blanken, elle s’est donné bien de la peine pour mener ces recherches. Or elle a sûrement concentré ses inquiétudes et ses efforts sur la dizaine de personnes dont elle ne retrouvait pas la trace ― et, aussi bien, celles-ci sont aussi vivantes que vous ― sans réaliser qu’elle dirigeait son énergie dans la mauvaise direction. Les enquêteurs, Mallis, Mme Blanken et les autres : l’assassin les a tous dupés.
— Sauf moi ! objecta Relmyer.
— La seule preuve de cette manipulation : c’est Luise et vous qui la détenez. Peu de personnes connaissaient suffisamment bien ces jeunes gens pour affirmer avec certitude qu’ils ne seraient jamais devenus soldats. Les victimes sont rattachées à des régiments différents, car le contraire aurait attiré l’attention. Cela nous indique que la falsification a eu lieu au niveau des registres. Autrement, l’assassin aurait dû faire appel à un complice dans chaque régiment, ce qui est trop compliqué et trop risqué, quelqu’un aurait fini par parler. Nous avons désormais une piste : découvrir qui a truqué les registres militaires. Il s’agit de l’assassin lui-même, ou d’un complice.
— Un complice... répéta Relmyer.
Jusqu’à présent, il avait assimilé son combat à un duel. C’était la raison majeure pour laquelle ce type d’affrontement l’obsédait et avait fini par le fasciner. Or voilà qu’apparaissait la possibilité que les choses fussent plus complexes encore. Luise ne retenait pas ses larmes. Elles roulaient sur ses joues et s’écrasaient sur le décolleté de sa robe.
— Nous savons maintenant pourquoi il s’en prend à des orphelins. Des parents ne seraient pas tombés dans le piège. Ils auraient crié à cet imbécile de Mallis que les registres étaient faux. Alors cet Oberstleutnant aurait réclamé des vérifications ! Quant à Mme Blanken, elle a porté seule sur ses épaules des recherches qui auraient dû être menées par des dizaines de pères, mères, frères, soeurs, grands-parents, oncles et tantes ! Cette foule en colère aurait brisé le silence et harcelé sans relâche les autorités, tant et si bien que celles-ci n’auraient jamais abandonné l’enquête. Pourquoi toujours nous ? N’est-ce pas assez de ne pas avoir de famille ? Faut-il en plus que notre solitude attire de tels monstres ?
Pour la première fois depuis leurs retrouvailles, Relmyer exprima de la tendresse pour Luise. Il la serra dans ses bras, ignorant les regards outrés qui s’accumulaient sur leurs épaules. Margont l’enviait. Il aurait voulu avoir ce geste. Il sentit qu’il avait franchi un cap, dépassé une limite sans s’en apercevoir. Désormais, quoi qu’il arrive, même si cela devait lui prendre un, deux voire dix ans, il n’abandonnerait pas cette affaire avant de l’avoir résolue. D’une certaine manière, il était devenu un second Relmyer.
Celui-ci libéra finalement Luise alors qu’elle souhaitait prolonger ce moment.
— Le meurtre de Wilhelm et votre retour n’étaient effectivement pas une coïncidence, ajouta Margont. La guerre vous a ramené ici. De même, l’assassin sait qu’il peut recommencer à frapper avec le moins de risques possible. Car on n’a pas fini de compter les morts au champ d’honneur... Si cet homme n’avait pas été surpris par une patrouille, nul doute que le nom de Wilhelm serait apparu sur la longue liste des victimes autrichiennes d’Essling. L’assassin profite des combats.
La plupart des disparitions ont eu lieu en période de guerre. Dans ces moments-là, les armées recrutent à tour de bras et les disparitions se multiplient : fuites pour éviter l’enrôlement ou, au contraire, engagements spontanés... Les enlèvements se noient dans la masse des absences inexpliquées. Quant à la police, elle est débordée et désorganisée quand le pays est envahi. L’assassin dissimule ses traces encore mieux qu’avant : la guerre est devenue sa « saison de chasse ». Je vous le dis, c’est un charognard ! On peut craindre qu’il recherche déjà une nouvelle victime...
— Bien sûr qu’il
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