Chasse au loup
va tuer à nouveau ! s’écria Relmyer.
Des têtes se tournèrent dans sa direction. Le chef d’orchestre flancha et les musiciens émirent quelques fausses notes. Il leur fit de nouveau face et amplifia ses gestes. La musique devint plus forte, c’était flagrant. Relmyer se plaça au milieu de la piste de danse, bousculant les couples et se faisant percuter par eux.
— Inutile de jouer fortissimo, ils sont tous sourds ! lança-t-il à pleine voix.
L’orchestre s’obstinait, des danseurs fuyaient la piste, des officiers furieux marchaient vers Relmyer, des invités interloqués s’adressaient des coups d’oeil...
— Lukas Relmyer le trouble-fête vous souhaite une excellente soirée ! vociféra-t-il. Dansez, dansez ! Un jour viendra où vous serez bien obligés d’ouvrir les yeux et les oreilles !
Il se précipita sur une porte-fenêtre et l’ouvrit à la volée pour sortir. Il avait besoin d’air. Margont le suivit. Des couples se reformèrent et reprirent leur valse. Le caillou avait traversé la mare et celle-ci faisait déjà mine de l’avoir oublié.
Relmyer marchait vite, les dents serrées, la respiration bruyante. Margont le talonnait.
— Je comprends votre colère, mais la priorité est d’identifier cet homme et de l’arrêter. Ensuite, vous pourrez à loisir régler vos comptes avec...
— Je ne supporte plus leur silence ! Il hurle à mes oreilles, il est assourdissant, il me tue !
Il se passa alors quelque chose de tout à fait étonnant. Piquebois, adossé à un bâtiment annexe, contemplait les étoiles. Ayant reconnu la voix de Margont, il tourna la tête dans cette direction. Relmyer et Pique-bois ne s’étaient jamais rencontrés. Pourtant, au moment où Relmyer l’aperçut, il se figea net.
— Lieutenant Piquebois ? demanda-t-il.
— Pour vous servir, lieutenant Relmyer, alias la Guêpe, répondit joyeusement Piquebois.
Une lueur d’excitation dansait dans les yeux de Piquebois et un sourire exalté avalait son visage. À peine ces deux hommes s’étaient-ils croisés que ce contact avait généré une étincelle de folie qui les embrasait tous les deux.
— Un duel amical ? proposa Piquebois tandis que Relmyer dégainait déjà son sabre, comme si les mots devenaient superflus quand il existait une telle harmonie de pensées.
Margont se raidit, désignant les deux officiers d’un index menaçant.
— Je vous l’interdis formellement ! Lukas, rengainez !
Relmyer se débarrassa de sa pelisse.
— Avec Margont, cela ne fait qu’un seul témoin.
Piquebois jeta son habit à terre.
— Ne perdons pas de temps à en trouver un second. Puisque Quentin est un ami commun, comptons le double.
Margont se plaça entre eux, ce qui pouvait être dangereux si l’un d’eux considérait cela comme un affront.
— Lieutenant Piquebois, vous rengainez séance tenante ou je vous fais jeter aux arrêts.
Margont levait déjà le bras pour attirer l’attention d’une sentinelle plus occupée à déshabiller les belles Autrichiennes dans ses rêveries qu’à garder les alentours. Piquebois effectuait des moulinets pour s’échauffer le poignet.
— Nous faire emprisonner n’y changera rien, Quentin. Relmyer et moi, nous nous battrons en duel dès notre sortie.
— Ou même en prison, surenchérit Relmyer. Nous saurons bien convaincre nos gardiens de nous armer et ils se régaleront du spectacle.
C’était aberrant, mais il avait raison. Margont tentait envers et contre tout de les raisonner, mais les deux lieutenants ne l’écoutaient plus.
— Au 8 e hussards, on ne cesse de vanter vos mérites, le complimentait Relmyer avec envie.
Piquebois jubilait.
— On en dit trop ! Quant à moi, j’ai entendu dire que votre lame était sans pareille. Il faut absolument qu’elle rencontre la mienne.
Tout en parlant, ils se jaugeaient du regard, échauffaient leurs muscles et se déplaçaient lentement, avec fluidité, vers un réverbère situé immédiatement derrière la grille du jardin. On assistait à un rituel fait de séduction et de mort, un pas de danse qui vous entraînait avec grâce vers la tombe.
— Qui touche fait mouche ? proposa Piquebois.
Relmyer était aux anges.
— Il n’y a pas mieux ! Puisque c’est purement intellectuel, autant s’arrêter au premier sang. De toute façon, je ne vais pas vous occire. Les amis de mes amis sont mes amis...
— Évidemment que vous n’allez pas me tuer puisque c’est moi qui
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