Chasse au loup
histoire n’a que trop duré. Cette affaire se terminera sous peu, d’une manière ou d’une autre.
Sur quoi, il s’éloigna. Dehors l’attendaient trois duels, trois morts possibles.
CHAPITRE XXI
Les deux hussards d’élite patientaient sous le soleil. Le maréchal des logis-chef Cauchoit avait dégainé son sabre et s’amusait à faire se réfléchir une lueur sur les visages des soldats. Ah, si l’un d’eux pouvait s’énerver et marcher droit sur lui ! Mais non. Ils pressaient le pas, poursuivis par un reflet, ou ils se laissaient gentiment brûler la rétine en faisant mine de ne rien remarquer. Cauchoit s’égaya quand Relmyer sortit de l’hôpital.
— Je n’y tiens plus, monsieur l’officier !
— Où est passé votre autre compagnon ? s’étonna Relmyer.
Le sous-officier rayonnait autant que sa lame.
— C’est que j’ai étendu raide ce prétentieux du 5 e hussards en vous attendant. Vous avez failli croiser ses brancardiers sur le perron. Battons-nous ici ! Quel meilleur lieu pour un duel qu’un hôpital ?
Il frôlait l’extase. On aurait dit un amant sur le point de jouir de son sabre.
— Victoire au premier sang ? proposa-t-il.
Relmyer hocha la tête. Il avait cependant entendu dire que Cauchoit était un marchand de morts subites. Sur les neuf duels « au premier sang » qu’on lui connaissait, sept s’étaient soldés par la mort de son adversaire (et encore ce chiffre supposait-il que le hussard du 5 e régiment survivrait...). On le surnommait « l’homme aux veuves »... Cauchoit avait la cruauté faussement innocente du petit garçon qui s’amuse à jeter un chat dans un feu.
Il ôta sa pelisse et son dolman et les tendit à son ami le trompette. Celui-ci joua sans broncher le rôle de portemanteau. Chaque duelliste doué semblait posséder son élève béat, son Pagin. Relmyer déposa ses effets sur une charrette maculée de sang séché. Le soleil, vif, rendait éblouissant le blanc de leurs chemises. Cauchoit parlait tout en s’échauffant, tentant de déstabiliser Relmyer. Il évoquait ses succès passés, sous-entendait que Relmyer était un lâche... Pour lui, le duel avait déjà commencé : ses commentaires étaient ses premiers coups de pointe.
Relmyer ne l’écoutait pas. Il se retrouvait pris dans une tempête intérieure qu’il connaissait bien. Son passé refaisait surface et l’envahissait, comme une eau noire l’inondant brutalement de l’intérieur. Un homme se tenait en face de lui et lui voulait du mal. Sur le visage de Cauchoit venaient se superposer les traits du bourreau de Franz. Cette confusion des identités, des époques, des histoires et des contextes générait un chaos épouvantable. Relmyer avait peur de voir l’autre triompher une nouvelle fois et s’en aller vers de nouveaux crimes. Il était obsédé par cette idée. Il en venait à ne plus prêter attention à ce qui l’entourait. Si bien qu’il lui semblait se trouver dans une sorte de galerie dont l’issue était obstruée par un ennemi. Relmyer sentait croître en lui la conviction irrépressible qu’il devait vaincre cet homme. Alors il pourrait sortir de ce tunnel, rejoindre le monde et retrouver sa vie habituelle. D’une certaine manière, son adversaire était pareil à la pierre de la cave qu’il avait dû faire tomber pour se libérer.
Relmyer devait impérativement dominer ce tourbillon d’émotions. Pour cela, il possédait sa lame qui recelait un univers entier. Les enseignements qu’il avait suivis, les séances d’entraînement, ses réflexions sur le sens de la violence, la capacité des mathématiques à ramener à leur plus simple expression des phénomènes en apparence confus : tout cela interagissait pour canaliser les forces qui s’entrechoquaient en lui. Colère, tristesse, dépit, rage, angoisse, rancune, haine, désarroi, souvenirs douloureux, deuils inachevés : il parvint une nouvelle fois à faire converger tous ces courants vers un seul objectif. Anéantir l’adversaire. Cauchoit devint ainsi temporairement le noeud de toutes ses souffrances.
Cauchoit se pavanait avec grâce, esthète du meurtre.
— Je trouve qu’il y a quelque chose de « volaille » en vous, le raillait-il. Votre fuite lors de l’attaque des souris grises de la Landwehr m’évoque la débandade des poules quand le renard se faufile sous l’enclos. Je parierais que votre sang a la couleur rubis de celui des pigeons !
Relmyer le salua
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