Chasse au loup
l’Empereur. Il s’était adressé à ces cent hommes comme s’il s’était agi de cent mille. Il pensait ainsi s’entraîner pour plus tard. Dans ces moments-là, il n’était plus lui-même ; l’ambition le rendait arrogant et inspiré. Il ressemblait au joueur forcené dont la main jette à toute allure les pièces sur la table de jeu. Il était prêt, sa compagnie était prête, l’armée, l’ennemi, le monde, l’Empereur : ils étaient tous prêts, alors qu’attendait-on ? Vite, une nouvelle carte ! Convaincu que la guerre le propulserait au sommet de la hiérarchie, il languissait après le carnage. Son esprit, hermétique à toute idée de danger, s’emballait dans des calculs tactiques certes brillants mais qui n’intéressaient que lui. Il faisait les cent pas, prisonnier de cette attente interminable, impatient de leur prouver à tous. Leur prouver quoi ? Mais, tout, bon sang, tout ! Margont l’avait surnommé « lieutenant Beethoven ». Comme le compositeur, Saber avait ses symphonies qui tournaient sans cesse dans sa tête et il cherchait avec avidité une scène et un public. Lefîne était quant à lui dans un tout autre état d’esprit : il pestait.
— Quand je pense à tout le temps qu’il nous a fallu pour construire une cabane sur l’île de Lobau ! Et voilà qu’on nous flanque dehors ! Maintenant, ce sont ces cochons trop bien payés de la Garde qui y dorment ! C’est scandaleux ! Et la solde de juin ! Où est-elle, notre solde de juin ? Le 2 juillet, ce n’est plus juin ! Ou alors, pour la comptabilité impériale, le 2 juillet, c’est le 32 juin. C’est de l’escroquerie ! On nous la paiera après la bataille, quand il n’y aura plus personne pour la recevoir, pour faire de belles économies, comme d’habitude ! On nous oblige à faire la guerre et, en plus, on doit la faire à crédit !
Il parlait, il jacassait... Ses flots d’anxiété se muaient en propos interminables qui, tous, racontaient qu’il était la victime du monde entier. Allongé sur l’herbe, Margont, ayant appris à se rendre sourd pour pouvoir s’entendre penser, réfléchissait à son enquête. Il se leva d’un bond. Il venait d’avoir une idée. Lefine continuait à pérorer.
— Vous vous rendez compte que vous touchez une solde qui est pratiquement huit fois la mienne ? Mais que feraient les officiers sans leurs sergents, je vous le demande ? Qui fait exécuter vos ordres ? Citez-moi une seule bataille remportée par une armée sans sergents ? Hum ? J’attends. Nous autres, les sous-officiers, sommes les mal-aimés de l’armée ! Or, sans nous, le...
— Il faut que nous trouvions des chiens de chasse, le coupa Margont.
— Bien sûr, des chiens... Et des poissons, aussi ?
— Nous avons fouillé les environs de la maison de Teyhern, mais nous pouvons très bien être passés à côté d’une cache, d’un abri souterrain. Des chiens de chasse, eux, utiliseront leur flair ! Allons chercher Jean-Quenin. Un médecin pourrait être utile. Puis nous irons trouver Pagin pour qu’il nous escorte avec quelques hussards.
CHAPITRE XXVII
Margont s’inquiétait pour Relmyer et il poussa un soupir de soulagement en le voyant sortir de la demeure de Teyhern. Le jeune Autrichien, exaspéré, se précipita sur lui. Ses traits tirés donnaient à penser qu’il se réveillait plusieurs fois par nuit, sursautant au moindre bruit, réel ou imaginaire.
— Que faites-vous ici ? Fichez le camp !
Les trois braques qu’un fermier tenait en laisse achevèrent de le décontenancer. Margont lui exposa son idée.
— S’il y a quelqu’un, fasse le ciel que nous le trouvions à temps, lui répondit Relmyer. S’il n’en est rien, disparaissez !
On lâcha les chiens qui se dispersèrent. L’un fila vers la maison tandis que les autres parcouraient les alentours à toute allure, changeant de direction, la truffe au sol et la queue remuante. Relmyer accablait le fermier de questions. Ses bêtes avaient-elles compris ce que l’on cherchait ou allaient-elles lever un lièvre ? Combien de temps leur faudrait-il pour explorer les lieux ? Comment saurait-on quand il conviendrait de renoncer ? Pourquoi l’une d’elles aboyait-elle ? Ne pouvait-elle se taire ? Le propriétaire l’écoutait à peine, maugréant de temps en temps : « Mes chiens connaissent leur affaire : si quelqu’un se trouve dans les environs, ils le dénicheront. » Son visage
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