Chasse au loup
en fonction d’un grand nombre de facteurs : la chaleur, l’humidité, la terre qui entoure le corps... Je dirais entre dix et quinze jours.
Relmyer accomplissait des efforts pour se contrôler. Il venait de basculer d’un monde simple et clair – attendre Teyhern dans son salon – à un univers chaotique encombré d’interrogations : qui était cet homme ? Qui l’avait tué ? Pourquoi ?
Margont détaillait la fosse.
— Ce corps a été enterré très profondément pour empêcher l’odeur de se répandre et de nous alerter. De plus, cette tombe était bien dissimulée : nous n’avons rien repéré lors de notre première inspection. L’assassin ne voulait surtout pas que l’on découvre sa victime. Conclusion : ce mort constitue un indice majeur – soit dit sans offense pour son âme – et je veux tout savoir sur lui. Pagin, montrez le portrait au médecin-major. Jean-Quenin, peux-tu nous dire s’il s’agit de la même personne ?
Pagin et Relmyer se regardèrent, déroutés par cette demande qui leur paraissait extravagante. Jean-Quenin Brémond s’exécuta sans chercher à comprendre. Il avait l’habitude des questions saugrenues de Margont.
— Non, il s’agit de deux individus différents.
Relmyer désigna la tête aux traits effacés par la putréfaction.
— Que racontez-vous ? Qu’y a-t-il à voir sur ce visage sinon la mort ? Ils ont à peu près la même couleur de cheveux. Ce pourrait être lui, son frère, son voisin ou la moitié des hommes tués sur terre ces quinze derniers jours.
— Regardez les pommettes.
Non, Relmyer ne parvenait plus à fixer ce cadavre. Il se contenta d’écouter les explications du médecin-major.
— Les os sont saillants chez la victime, pas sur le portrait. La mâchoire inférieure est plus étroite et il a le menton en galoche.
— Peut-être que le peintre a bâclé son travail...
Relmyer se ravisa : la peinture était fort ressemblante. Jean-Quenin Brémond poursuivait son énumération.
— Bien que le nez soit abîmé, il demeure plus massif et plus allongé. Par ailleurs, il se situe dans le prolongement du front. C’est ce que l’on appelle un profil grec. L’homme du tableau présente un nez busqué bien séparé de l’os frontal. L’implantation des oreilles est également plus basse.
Margont rejoignit le fermier en compagnie de Pagin, qui transportait toujours le tableau. Il lui demanda en autrichien :
— Vous qui habitez non loin d’ici, connaissez-vous l’homme représenté sur ce portrait ?
— Jamais vu.
— Venez avec moi.
Avec beaucoup de réticences, l’homme le suivit jusqu’à la tombe. À peine aperçut-il le cadavre qu’il s’agita, sous le coup de l’émotion.
— Lui, vous le connaissez ! Ne le niez pas ! s’exclama Margont. Qui est-ce ?
— Hermann Teyhern...
— Comment ? s’écria Relmyer.
L’homme était terrorisé. Il s’exprima d’une voix désespérée :
— Je vis tranquille chez moi, j’ai rien vu et je parle pas français. Je vous rends l’argent que vous m’avez donné pour amener mes chiens. Je comprends rien à votre histoire et je vous jure que je dirai rien...
Margont tenta en vain de l’interroger plus avant au sujet de Teyhern, puis dut se résoudre à l’autoriser à partir. Le fermier ne se fit pas prier et décampa avec ses chiens. Margont s’approcha de Relmyer.
— L’assassin connaissait bien Teyhern puisque celui-ci falsifiait les registres pour lui. L’homme que nous recherchons a compris que notre enquête finirait par nous mener ici ou alors il a su que les manipulations de Teyhern avaient été percées à jour. Il devait donc faire disparaître Teyhern. Mais il ne lui a pas mutilé le visage : il ne l’a pas traité de la même façon que ses victimes habituelles. Il a pris la clé de la maison et il a placé son propre portrait dans le salon. Puis il a soigneusement dissimulé le corps. Nous sommes remontés jusqu’au complice. Donc notre piste s’interrompt ici.
Relmyer se mit à invectiver la dépouille en autrichien, lui demandant comment elle avait pu faire cela. Pagin et un autre hussard se placèrent en travers de son chemin, car on avait l’impression qu’il allait se précipiter sur le cadavre pour le rouer de coups.
CHAPITRE XXVIII
Le soir même, tous avaient rejoint leurs campements respectifs. Le ciel était nuageux. La tension se lisait sur les visages. À perte de vue, des soldats bivouaquaient :
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