Cheyenn
Blessé , avait été un moment le gardien de la coiffe sacrée. À sa mort la coiffe a été prise en charge par Black Bird puis Rock Roads, Sand Crane, ensuite son frère Head Swift. Après le décès de ce dernier la coiffe est restée cinq ans sans autre gardien que la fille de Head Swift, qui n’était pas habilitée, mais il n’y avait personne d’autre. Furent ensuite nommés Ernest American Horse, Henry Little Coyote et Henry Black Wolf. La coiffe était contenue dans un ballot qui comportait d’autres objets-médecine et des tissus apportés en offrande. Il y avait aussi un morceau de cuir frangé de poils appelé Nimhoyeh, le tourneur, qui avait le pouvoir de détourner les choses, détourner les malheurs, les maladies et dévier les balles ennemies. Beaucoup de cérémonies étaient en relation avec la coiffe sacrée, beaucoup de rituels de guérison. Mais ces rituels se sont espacés avec le temps et les Cheyennes du Nord ont eu de plus en plus de mal à trouver des gardiens pour la coiffe. Ceux qui connaissaient les rituels sont morts, leurs héritiers, leurs enfants n’en connaissaient plus que des bribes et plus personne n’est aujourd’hui capable de célébrer la grande cérémonie de la coiffe. » Mauda relève la tête de sa lecture et coupe elle-même l’enregistrement. Quelles images ? me demande-t-elle d’un ton las. Je lui réponds que je ne sais pas, que c’est peut-être une prise pour rien, que la seule image qui ferait écho à ce texte serait peut-être celle de Cheyenn au-devant des conteneurs mais nous l’avions déjà utilisée. De toute façon je vois qu’elle n’écoute pas vraiment ma proposition, elle est épuisée par plusieurs heures de travail, elle plisse les yeux et soudain murmure je n’aime pas quand vous dites Cheyenn, la première fois je vous ai détesté quand vous l’avez appelé ainsi, mais ce n’est pas vous c’est moi. Elle me regarde, elle appuie, comme si je n’avais pas encore compris : c’est ainsi qu’il appelait l’enfant, quand vous l’appelez par ce nom, quand je vois ce nom en grand dans ses lettres, vous comprenez maintenant le mal que cela me faisait.
Dans les premières vingt minutes du film, le montage épouse presque exactement le journal de celui-ci. Ma voix détaille en off mes premières tentatives d’enquête, les paroles des experts, des professionnels – inspecteur, médecin légiste, juge, psychiatre, assistante sociale – qui viennent l’une après l’autre occuper l’absence de Cheyenn, sa présence livide, épouvantée, vaguement solennelle lorsqu’il se campe face à ma caméra dans le premier film. Fading de ces discours qui peu à peu s’emmêlent, ne sont plus qu’un nappé de voix bruissantes cependant que la focale peu à peu se resserre jusqu’à ce que son visage occupe tout l’écran, que l’œil y pénètre plus profondément encore, traverse la structure du visible, ne cerne plus que de minuscules grains noirs fusionnant çà et là à l’endroit qui doit correspondre aux commissures de ses paupières. Absolu émiettement de son corps, quelques îlots dans la mer blanche, lente traversée de son visage alors que monte la voix de Mauda, claire et tendue lorsqu’elle parle de Sweet Medecine et Wounded Eye, ouvre d’un coup l’espace de la légende, le territoire de l’homme sauvage, tandis que se succèdent les séquences de la ville souterraine et de la ville en friche, en terrains vagues, chantiers, habitacles vides, bolides lancés à toute allure sur le périphérique urbain, tramways s’engouffrant sous la terre, paysages heurtés où titubent au loin quelques formes fugitives, hommes de nulle part, errants indéfinis, chancelant au bord des gouffres, entre ombre et lumière, à même un tranchant de clarté crue, tandis que s’ouvrent par éclairs les vastes plaines de l’ailleurs, mais dans une indécision de l’image, sans que l’œil ne puisse vraiment décider de ce qu’il voit : grandes bâtisses vides ou immenses tables de pierre, une trouée lumineuse, un pan qui s’effondre, une mer de scintillations. On sent l’émotion dans la voix de Mauda lorsqu’elle parle de cet ailleurs que contre toute évidence il s’entêtait à voir, évoque plus tard cette tâche infinie qu’il s’était donnée, de rassembler, retenir contre soi, ce qui à chaque instant se perdait toujours davantage. Folie de courir la ville, dit la voix de Mauda, folie d’être dans cette permanente
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