Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
effet
convoqué la veille du départ pour lui annoncer qu’une fois la cargaison
débarquée à Londres, il devrait se rendre dans la lointaine île de Thilé [3] pour y prendre livraison d’un
chargement de précieuses fourrures, des peaux de renard réunies par un cousin
de l’armateur. Eleazar lui fit comprendre qu’il attachait beaucoup de prix à
cette affaire qui devait lui rapporter gros. Les barons de la cour, soucieux de
leur élégance, étaient prêts à payer très cher ces fourrures, pour orner leurs
longues robes de velours.
Cristovao s’était demandé pourquoi le Juif avait tant tardé
à le prévenir. Peut-être avait-il eu peur d’essuyer un refus de sa part. À en
croire l’un des pilotes, ce n’était pas un voyage facile. À cette époque de
l’année, la mer, dans ces régions, était prise par les glaces et ses abords
infestés de monstres marins capables de briser en mille morceaux les navires
les plus solides. L’homme s’était d’ailleurs prudemment signé en apprenant ce
changement de destination ; il avait maugréé quelques mots incompréhensibles.
La première partie du voyage s’était déroulée sans encombre,
hormis une tempête qui avait dispersé la flottille à son entrée dans le golfe
de Gascogne. Les navires s’étaient retrouvés au large du Finistère et avaient
gagné Londres. Cristovao n’était resté que quelques jours sur les bords de la
Tamise, le temps de faire provision d’eau fraîche, de légumes et de viandes. La
ville lui avait déplu. Il y faisait froid et un mauvais crachin transformait
ses rues en torrents de boue. Les habitants paraissaient vouer une acrimonieuse
haine aux étrangers et n’avoir qu’une obsession : les détrousser. Il avait
gagné Thilé en longeant les côtes d’Irlande noyées dans le brouillard. En
remontant vers le nord, son navire, par chance, avait trouvé une mer libre de
glaces mais en proie à de fortes marées.
Il avait accosté dans un port de taille modeste. Ce n’était
pas une ville à proprement parler, tout au plus quelques cahutes de torchis
regroupées autour d’une église en bois importé de Norvège. Les jours étaient si
courts que les habitants disposaient seulement de quelques heures pour vaquer à
leurs occupations avant d’être à nouveau plongés dans les ténèbres. Sa seule
consolation était que, de la sorte, il pouvait passer les longues soirées en
compagnie du cousin d’Eleazar Latam, Joao de Coïmbra, qui l’avait
chaleureusement accueilli et lui avait proposé de loger chez lui.
Petit, trapu, le visage d’un teint olivâtre, vêtu avec
recherche, il l’avait aussitôt mis à l’aise :
— Ne soyez pas surpris si, ce soir, je vous abandonne
quelques instants pour me rendre à l’église où m’appellent les affaires de la
paroisse. Contrairement à mon parent, je ne suis pas resté fidèle à la foi de
mes pères. J’avais envie de voyager et quelques gouttes d’eau m’ont ouvert les
portes de l’Angleterre et de ce pays, des portes fermées à ceux de ma race.
Eleazar a été assez intelligent pour le comprendre et ne rien changer à nos
rapports. À vrai dire, il n’est pas mécontent de me savoir ici plutôt qu’à
Lisbonne, où j’aurais été un objet de scandale pour lui et les siens. Il y
trouve son intérêt et c’est celui-ci qui l’a aussi poussé à vous employer.
Cristovao avait esquissé un geste de dénégation.
— Allons, ne faites pas l’indigné, cela ne vous servira
à rien. Vous savez que j’ai raison. Considérez-vous comme mon invité. Vous
n’avez pas le choix. Notre port n’a qu’une auberge que je vous déconseille
fortement. Son tenancier, Olaf, l’un de mes amis, y sert une nourriture infecte
et ses chambres sont d’une saleté repoussante. Ses clients y font à peine
attention car ce qui les attire dans ce lieu, ce sont les servantes, de
fieffées coquines qui passent plus de temps au lit que dans la salle. Ma foi,
si le cœur vous en dit…
Cristovao s’était donc installé chez Joao de Coïmbra,
désireux d’en savoir un peu plus sur ce nouveau protecteur. Il n’avait pas été
déçu. Son hôte s’était montré fort loquace. Assis près d’un bon feu, les deux
hommes avaient longuement devisé. Le Portugais l’avait taquiné sur ses
origines :
— Mon cousin m’écrit que vous êtes Génois de nation.
Voilà qui me plaît fort. Je voue une grande reconnaissance à votre ville que je
ne connais pas. Pour
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