Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
Terre
sainte ? Il y a mieux à faire que cela puisque Jérusalem est aux mains des
Maures et le restera sans nul doute de toute éternité. Nous ne pouvons que le
déplorer mais nous avons mieux à faire que de gémir. Il est d’autres buts vers
lesquels tendre notre volonté. Cela vous plairait-il de naviguer jusqu’à
Cypango ?
— Cypango ?
— Vous prétendez avoir étudié à Pavie et avoir entendu
parler de messire Marco Polo et vous ne connaissez pas ce nom. Voilà qui est
bien curieux !
Joao se leva péniblement et, dans la pénombre, fouilla dans
un coffre dont il finit par extraire un manuscrit. Un sourire barra son visage
quand il eut découvert le passage qu’il cherchait. D’un ton triomphant, il lut
à haute voix :
— Cypango est une île qui se trouve en la haute mer,
vers le levant, à quinze cents milles loin de la terre ferme. C’est une île
très grande, dont les habitants sont idolâtres et se gouvernent eux-mêmes. La
quantité d’or qu’ils possèdent est, je vous l’affirme, illimitée, car ils
trouvent ce métal dans leur île. Peu de marchands visitent le pays parce qu’il
est trop loin de la terre ferme ; c’est pourquoi l’or s’y trouve en une
abondance si démesurée qu’ils ne savent qu’en faire.
Joao fit tinter dans la paume de sa main quelques pièces
avant de poursuivre :
— Je vais vous conter une grande merveille sur le
palais du seigneur de cette île. Sachez qu’il possède un grand palais dont la
couverture est toute d’or fin, de la même manière que celle de nos églises est
de plomb, de sorte que sa valeur est telle que c’est à peine si on la pourrait
estimer. En plus, tout le pavement du palais, le sol des chambres, est
entièrement en plaques d’or comme des dalles en pierre, et bien épaisses de
deux ou trois doigts ; toutes ses fenêtres sont pareillement en or fin, de
sorte que ce palais est d’une richesse si démesurée que nul ne le pourrait
croire.
Joao de Coïmbra fit une pause avant de continuer :
— Ils ont aussi en abondance des pierres précieuses
et des perles qui sont de couleur rose, très belles et de grand prix. Ces
perles sont très épaisses et rondes et valent autant que les blanches. En cette
île, il en est qui ensevelissent leurs morts, il en est d’autres qui les
incinèrent ; à ceux qui sont ensevelis, l’on a l’habitude de placer l’une
de ces perles dans la bouche.
Joao ricana :
— Cela vaut mieux que la misérable obole dont les
anciens Grecs munissaient leurs morts pour que Charon leur fasse passer le
Styx. Par Dieu, je me ferais bien fossoyeur sur cette île !
Cristovao se signa à la hâte. C’était plus qu’il n’en
pouvait supporter. Il lui semblait que des torrents de perles et de pierres
précieuses étaient sur le point d’engloutir la pièce. Surtout, les propos de
son hôte l’avaient troublé au plus haut point. Ils lui avaient fait prendre
conscience de son ignorance, pis encore, de sa bêtise crasse. Non seulement il
était inculte, mais surtout stupide, désespérément stupide, borné, naïf,
dépourvu d’imagination et de sens critique, se satisfaisant de l’apparence des
choses et des fausses évidences.
Lui revint soudain en mémoire la fameuse nuit de Mocònesi où
lui et Bartolomeo avaient failli croiser des sorciers. Ces êtres maléfiques
dont le bûcheron disait avoir aperçu les yeux et, si c’étaient eux, les deux
gamins réfugiés dans un arbre pour échapper aux loups. Comment avait-il pu ne pas
le comprendre et, au contraire, bêler des cantiques en suivant la procession
improvisée par le curé pour remercier Dieu d’avoir protégé le village contre un
tel péril ?
Son père, Domenico, avait raison, il n’était qu’un bon à
rien. Un cardeur ou un foulon en savaient plus que lui sur l’existence. Ils
étaient mille fois plus débrouillards que lui. Quel nigaud faisait-il,
misérable gamin égaré dans le monde des adultes. Il prenait soudain conscience
que, des années durant, on lui avait menti ou, plutôt, qu’il avait consenti de
bonne grâce à ce qu’on abuse de sa naïveté et de sa crédulité. Enfant, il
l’était resté, comme le montraient ses rêveries à propos de Jérusalem et sa
maniaque façon d’économiser pièce sur pièce pour financer la croisade. Qui sait
si ce brave Michele da Cuneo n’en profitait pas et ne se servait pas de son
modeste pécule pour mener grand train à Gênes ? Voilà longtemps que
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