Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
coulé.
Lui-même s’était jeté à la mer et avait eu la chance de pouvoir gagner le
rivage en s’agrippant à une planche. Arrivé à Lagos, il s’était rendu à
l’église pour remercier la Vierge Marie de l’avoir sauvé d’une mort certaine.
De là, il avait gagné Lisbonne, sachant que son frère cadet y travaillait dans
l’atelier de l’un de ses compatriotes. Depuis, il rongeait son frein, attendant
de trouver un engagement.
Débité d’un ton modeste, avec ce qui convenait de douce
résignation, son récit suscita l’intérêt. Tous avaient entendu parler de cette
attaque menée par un corsaire au service de la France et du Portugal. Il avait
outrepassé ses consignes en s’en prenant à des navires génois mais s’était
justifié en affirmant que plusieurs d’entre eux, dont La Bechalla, arboraient
le pavillon de la Bourgogne avec laquelle les deux pays étaient en conflit
larvé. Tous félicitèrent Cristovao de la chance qu’il avait eue d’échapper à un
naufrage où plusieurs dizaines de marins avaient trouvé la mort. Le jeune homme
eut l’impression qu’ils regrettaient surtout de n’avoir pu mettre la main sur
la cargaison de gomme et de mastic qui se trouvait à bord des bateaux et dont
ils calculaient le profit qu’elle aurait pu leur rapporter. Devinant ses
pensées, le maître de maison jugea utile de lui adresser quelques mots de
réconfort :
— La chance vous sourit une nouvelle fois, jeune homme.
Assurément, vous êtes un bon marin puisque vous avez pu nager jusqu’à la côte.
À votre place, je l’avoue, j’aurais servi de nourriture aux poissons. Je le
reconnais sans honte aucune, j’ai beau posséder plusieurs navires, je me suis
toujours refusé à monter à leur bord. Mon ami Meshoullam me taquine assez à ce
sujet, lui qui s’apprête à partir pour Alexandrie et Beyrouth.
Le Florentin lui rétorqua :
— C’est à cause de toi et de tes pères que Moïse nous a
fait passer à sec la mer Rouge et nous a conduits pendant quarante ans dans le
désert. Je te verrais bien dans les sables de Berbérie mais il te faudrait, au
préalable, franchir les Colonnes d’Hercule.
— Ne fais pas ton faraud. Tu profites de ce que je
n’irai pas vérifier comment tu te comportes durant une tempête. Je doute fort
que tu fasses toujours bonne figure.
Puis, se retournant vers Cristovao :
— Qu’en pense notre marin ?
Cristovao jugea habile de ménager l’un et l’autre :
— Nul ne doit s’aventurer sur les flots s’il n’y est
contraint par une nécessité impérieuse. Un passager transi de peur peut attirer
le malheur sur un équipage. Les marins les surnomment des Jonas et n’hésitent
pas à les jeter par-dessus bord. Puisque Meshoullam est des nôtres, c’est la
preuve qu’il ne redoute pas de naviguer.
Eleazar Latam sourit :
— Voilà qui me dissuade à tout jamais de m’aventurer
sur les flots. Dans quelques semaines, j’envoie une flotte en Angleterre et
j’ai besoin d’un bon commis pour seconder mes capitaines et pilotes. Vous me
paraissez faire l’affaire. Ne protestez pas, considérez-vous comme étant d’ores
et déjà à mon service. Prenez cette bourse afin de subvenir à vos besoins
jusqu’au départ. Nous aurons l’occasion de reparler de cette expédition. Pour
l’heure, il se fait tard. Les cloches vont bientôt sonner les Vêpres et il est
temps pour vous de quitter la Judaria.
Les invités chrétiens prirent congé de leur hôte. Dès qu’ils
furent partis, Eleazar et Meshoullam se tournèrent vers l’homme que Cristobal
avait pris pour l’intendant de la maison :
— Que pensez-vous de ce Génois, mestre José
Vizinho ?
— Qu’il mérite bien la réputation qu’on fait à ses
compatriotes d’être de fieffés menteurs ! Je doute fort qu’il ait été
étudiant à l’université de Pavie ni même qu’il soit issu d’une famille noble
comme il le prétend. Il n’a ni les manières ni le langage d’un lettré. S’il
l’était, il n’aurait pas manqué de nous le prouver par quelques citations
latines bien choisies.
— Reste, dit Meshoullam, qu’il a bien fait naufrage.
Vous savez tous comme moi que ce maudit Français a attaqué des navires le
13 août dernier.
— Tout doux, répliqua José Vizinho. Il était au service
de la Couronne et c’est grâce à lui et à sa bande de vauriens que nos entrepôts
regorgent de marchandises. Je ne crois pas un seul mot de son récit.
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