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Christophe Colomb : le voyageur de l'infini

Christophe Colomb : le voyageur de l'infini

Titel: Christophe Colomb : le voyageur de l'infini Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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le
« vicomte de Hébron » ne lui avait d’ailleurs pas donné de ses
nouvelles ! Ce filou profitait-il de sa naïveté ? Oui, cent fois oui,
il y avait mieux à faire et il commençait à le comprendre. Après tout, ce que
Joao lui avait dit de Thilé, de Madère et des Açores était rigoureusement
exact, cent fois plus vrai que les racontars du curé de Mocònesi sur le royaume
du Prêtre Jean. Pourquoi n’en serait-il pas autant de Cypango, à laquelle il
paraissait attacher tant d’importance ?
    La colère le submergea à tel point qu’il quitta
précipitamment la pièce, sans même prendre congé de son hôte, pour se réfugier
sur son navire. Là, dans sa cabine, transi de froid, il chercha en vain le
sommeil, assailli par ses pensées. Il prenait le clapotis de l’eau pour le
ricanement des matelots qu’il imaginait se gausser de sa bêtise. Jamais plus,
pensait-il, il n’oserait leur donner un ordre.
    Ces sombres pensées le tinrent éveillé jusqu’aux premières
lueurs de l’aube. Il s’en retourna alors chez Joao de Coïmbra qu’il trouva
assoupi devant la cheminée, le manuscrit posé sur ses genoux. L’homme se
réveilla et l’invita à s’asseoir :
    — J’espère que votre fureur est retombée. Croyez-moi,
je n’ai pas voulu vous blesser. Vous ressemblez trop au jeune homme que j’ai
été pour que je puisse nourrir un tel dessein. Tout au contraire, je voulais
vous faire partager l’émerveillement qui me saisit à chaque fois que je lis le Devisement
du monde. L’occasion m’est rarement donnée ici de discuter de telles
questions. Les habitants de cette île ont les vieux grimoires en horreur et la
moindre chose sortant de l’ordinaire dépasse leur entendement. Ils n’ont jamais
voulu me croire quand je leur ai expliqué qu’au Portugal, l’été, la chaleur est
parfois si forte qu’il est impossible de rester dehors en pleine journée.
    — Êtes-vous sûr que Cypango existe ?
    — Je vous préfère ainsi, méfiant, vindicatif, exigeant.
Marco Polo n’a pu l’inventer. On n’invente pas une terre, encore moins en
découvre-t-on une. On peut imaginer un personnage, lui prêter un visage, des
traits de caractère. On peut aussi imaginer des hommes à tête de chien ou de
chat, des femmes avec des nageoires de poisson. Pourquoi pas ? Lors de
leurs fêtes, les nobles revêtent bien des déguisements extravagants. On peut
tout inventer, il suffit d’en avoir la volonté ou d’avoir vidé pichet sur
pichet. Inventer une terre, c’est autre chose. Cela dépasse l’entendement. Il y
faudrait un génie que nous, mortels, sommes loin, très loin de posséder. Pour
nier notre faiblesse insigne, nous feignons de penser que le monde connu et le
monde qui existe ne font qu’un. Quitte à tricher un peu lorsque d’audacieux
marins débarquent dans des régions jusque-là ignorées par les cartographes.
Nous n’en faisons pas un drame. Nous élargissons nos cartes comme l’on retaille
un pourpoint quand son propriétaire a pris un peu de poids.
    — Cela ne signifie pas que Cypango existe.
    — Décidément, vous êtes peu patient. Il y a deux jours
de cela, vous ignoriez tout d’elle et vous ne vous en portiez pas plus mal. Et
voilà qu’aujourd’hui il faut qu’on vous fournisse, toutes affaires cessantes,
des preuves de son existence. Puisqu’il en est ainsi, suivez-moi.
    Les deux hommes marchèrent quelques minutes dans la boue
jusqu’à l’église. Le Portugais désigna au Génois un petit tas de pierres à
l’extérieur de l’enclos :
    — La voilà, votre preuve !
    Cristovao hésitait sur la conduite à tenir. Joao se moquait-il
de lui ou lui tendait-il un nouveau piège ? Il se balança d’une jambe sur
l’autre pour tenter de se donner une contenance, guettant une
explication :
    — Vous apprenez vite, jeune homme, et cela me réjouit.
Vous avez préféré vous taire plutôt que de proférer une énormité ou me rompre
les oreilles avec ce qu’Isidore de Séville dit des tas de pierres, car il n’a
pas pu ne pas aborder ce sujet. Sachez donc que cet endroit est la sépulture de
deux pauvres créatures sans doute mortes de faim et de soif à bord d’une
étrange barque que les courants portèrent vers notre île. À quoi
ressemblaient-elles ? Je ne puis vous le dire avec certitude. Les oiseaux
avaient dévoré une partie de leurs visages. Elles étaient de petite taille,
presque nues comme les Nègres d’Afrique à ceci près que la

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