Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
je
suis prêt à te céder à un prix très avantageux, dont une jeune fille, prénommée
Maria, qu’on dit bonne reproductrice.
Pero de Cintra,
marchand au Vieux Pilori.
3
Les tuiles d’or de Cypango
Emmitouflé dans une mauvaise peau de mouton qu’un marin lui
avait vendue pour une fortune, Cristovao regrettait presque d’avoir accepté la
proposition d’Eleazar Latam. Elle lui avait pourtant permis de rester à
Lisbonne alors qu’il était à court de ressources et dans l’incapacité de
solliciter l’aide du représentant des Centurione par crainte d’être démasqué.
Passer au service du négociant était une première étape du plan qu’il mûrissait
et qui lui permettrait, si tout allait bien, de pénétrer dans l’entourage des
conseillers du souverain.
Il s’était donc empressé de donner toute satisfaction à son
nouvel employeur. Il avait passé de longues journées à vérifier minutieusement
le chargement de la cargaison, de lourds tonneaux de vin de Madère et des
caisses de sucre. Il avait pour mission de les convoyer jusqu’à Londres où ces
produits s’arracheraient. Les Anglais, disait-on, raffolaient de ce vin qu’ils
préféraient à ceux, plus âpres, de Guyenne et du Val de Loire. Pour le sucre,
cuisiniers et apothicaires en utilisaient de grandes quantités dans leurs
préparations. En créant d’immenses plantations dans l’Algarve et à Madère, et
en les faisant cultiver par les esclaves venus d’Afrique, les Portugais avaient
ravi aux Vénitiens ce marché.
Débordant d’activité, Cristovao avait aidé les capitaines de
la flotte à recruter leurs équipages. Il avait passé des heures à examiner les
hommes qui se présentaient, dont certains avaient deux fois son âge. Ces rudes
gaillards s’exprimaient peu, comme si les mots étaient un luxe superflu. Ils
s’assuraient seulement qu’ils auraient, matin, midi et soir, du vin et de la
viande trois fois par semaine. Quelques-uns tiquaient en apprenant qu’un tel
avait déjà été engagé. À chaque fois que cela se présentait, Cristovao refusait
de les prendre à bord, se doutant bien que ces coquins n’avaient qu’une chose
en tête : solder de vieux comptes. En riant, l’un des capitaines avait
remarqué qu’il n’était guère tendre pour ses compatriotes. Il avait
délibérément omis d’engager des Génois, par crainte que l’un d’entre eux n’ait
jadis fréquenté la taverne de Domenico et ne reconnaisse en lui le gamin aux
cheveux roux qui aidait son père.
Un matin, il avait eu la surprise de croiser Paolo de Noli,
le cousin de Filippo et Federigo Centurione, venu surveiller le chargement
d’une caraque en partance pour la Flandre. Il déambulait, flanqué d’un commis,
observant attentivement les navires prêts à lever l’ancre, se renseignant sur
leur destination et leur cargaison. Eleazar Latam avait ricané :
— Voilà un homme qui fait peu honneur à ta nation. S’il
n’était qu’idiot, passe encore, mais il est d’une rare suffisance. Il prétend
connaître mieux que quiconque la mer et ses dangers. Il a toujours refusé
d’envoyer des navires à Madère car nos capitaines lui ont raconté leurs
supposés fréquents naufrages pour augmenter ses craintes. Il est si bête que
nous fermons les yeux sur sa curiosité. Ce qui l’intéresse, c’est uniquement de
savoir si des bateaux partent pour la Flandre, avec laquelle il fait
l’essentiel de son commerce. J’ai rencontré ses cousins à Séville et je ne
comprends pas pourquoi ils s’obstinent à avoir recours à ses services. À leur
place, je me serais débarrassé de lui.
— Je connais bien les gens de ma nation. S’ils ne le
font pas, c’est qu’ils y trouvent leur intérêt.
— Ou qu’ils sont des gagne-petit. Ils ne comprennent
pas que leur prudence finira par les perdre. La Flandre décline depuis que le
roi de France cherche à mettre au pas le duc de Bourgogne. Quand ils le
comprendront, il sera trop tard. Heureusement, je constate que d’autres Génois
de ma connaissance se montrent plus perspicaces et audacieux.
Cristovao avait esquissé un geste de remerciement, flatté de
cette appréciation, tout en devinant que son interlocuteur lui tendait un piège
ou cherchait à lui tirer les vers du nez. Il n’avait pas eu le temps de
réfléchir plus avant à cette conversation. Il avait tant de choses à régler
qu’il n’avait pu faire ses adieux à Bartolomeo. Eleazar l’avait en
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