Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
et, surtout, clamaient
haut et fort leur indignation. À l’issue du festin donné en l’honneur des
participants au pas d’armes, Dom Joao avait annoncé que, le lendemain, il
ferait savoir aux Cortès que son intention était de gouverner seul le royaume
et d’en faire selon ses désirs. Quiconque n’obéirait pas à ses ordres verrait
ses biens confisqués et ses privilèges purement et simplement annulés. Selon
les deux frères, les ducs de Viseu et de Bragance avaient pâli en écoutant ce
discours. L’un d’entre eux avait convoqué les chevaliers, sa suite, et laissé
éclater sa colère :
— Ce fourbe nous livre aux manants des Cortès et se
défie de sa noblesse. Car c’est nous qui sommes les premiers visés par de tels
propos. Un prince se doit de prendre l’avis de ses barons.
L’un des deux frères de Juliao ajouta d’un ton
menaçant :
— On dit, Juliao, que tu connais bien ceux qui sont à
l’origine d’une aussi funeste idée, ces frères de Sagres dont le roi fait si
grand cas. Préviens-les qu’à trop vouloir nous rabaisser, il leur en cuira.
Crois-tu que je vais me laisser acheter par une simple bourse d’or ?
J’attendais autre chose, un fief, un château, des terres, de quoi tenir mon
rang. Dom Joao n’est pas le seul prince qui puisse régner sur ce pays. S’il n’a
d’attention que pour les manants, il lui en cuira.
— Ce que tu dis n’est guère aimable pour notre ami
Cristovao.
— Il sait très bien ce que je veux dire et ne le
prendra pas en mal. D’ailleurs, il est presque des nôtres puisqu’il a épousé une
descendante de Martim Moniz. Je ne puis penser que les siens auraient donné
cette demoiselle à un simple commis ni que tu lui aies accordé sans de très
bonnes raisons ton amitié. Tu appartiens à un ordre qui est fort sourcilleux
sur les fréquentations de ses membres, quoiqu’il n’hésite pas à confier
l’administration de ses biens à des Infidèles.
Cristovao remarqua que Juliao avait froncé les sourcils
quand son frère avait mentionné les frères de Sagres. Visiblement, le moine ne
lui avait pas tout dit sur son rôle et sur les relations qu’il entretenait avec
les proches du monarque. À remarquer sa colère contenue, mieux valait ne pas
l’interroger à ce sujet. Pour le moment du moins…
*
Lisbonne sommeillait, écrasée par la canicule. L’été avait à
peine commencé et, déjà, le soleil dardait ses rayons impitoyables sur la
ville. Le jour, ses rues se transformaient en une véritable fournaise et
donnaient un avant-goût de l’enfer. À en croire certains prédicateurs exaltés,
c’était là un juste châtiment des péchés des citadins oublieux des préceptes
divins. Depuis le couronnement de Dom Joao, le dérèglement des mœurs était tel
que toutes les audaces paraissaient possibles. Le souverain avait été le
premier à commettre les pires excès, sans se rendre compte qu’il mettait en
danger le salut de son âme.
Passait encore qu’il entretînt, au vu et au su de tous, sa
maîtresse qui paradait au château Saint-Georges tandis que la reine avait été
exilée dans une forteresse de l’Algarve où elle vivait recluse et dans le plus grand
dénuement. Plus grave était le climat empoisonné qui régnait à la cour depuis
la découverte de plusieurs complots. Le duc de Bragance avait été le premier à
payer de sa vie sa trahison au profit de la Castille, où ses trois frères
avaient trouvé refuge. Quelques mois plus tard, ce fut au tour du duc de Viseu
de périr misérablement dans un horrible traquenard. Invité à rendre visite au
souverain dans l’un de ses châteaux près du Tage, il avait attendu des heures
durant une audience. Séparé de sa suite, il avait compris quel sort lui était
réservé et avait tenté de s’échapper en se dissimulant dans la garde-robe du
roi. C’est là que son propre beau-frère et cousin l’avait trouvé. Il l’avait
poignardé de sa main, insensible à ses prières.
Son principal conseiller, un évêque, avait été enfermé dans
un cul-de-basse-fosse et laissé sans eau ni nourriture pendant une semaine.
L’un des gardes, auquel on avait promis une grosse somme d’argent, croyant
venir en aide au prélat, lui avait tendu un gobelet de vin qu’il avait bu d’un
trait. Il était mort empoisonné, dans d’horribles souffrances, tout comme son
bourreau qui, pour gagner sa confiance, avait goûté au breuvage. Le poison,
préparé par José
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