Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
Vizinho, était si subtilement dosé qu’il n’avait laissé aucune
trace. Le bruit avait couru que l’évêque avait mis fin à ses jours. Son
cadavre, jugé indigne de recevoir une sépulture chrétienne, avait été jeté dans
les douves de la forteresse tandis que la famille du garde était expédiée vers
la côte de Guinée.
Le peuple s’était réjoui du malheur de ces grands qui, de
leur vivant, le méprisaient et levaient sur lui de lourds impôts. Çà et là
pourtant, on disait que les crimes appelleraient des châtiments terrifiants. La
prédiction s’était avérée. Les fortes chaleurs avaient provoqué le
déclenchement d’une épidémie de peste. Nobles et bourgeois avaient déserté
Lisbonne pour gagner la campagne. Cristovao avait tenté, mais en vain, de
convaincre sa femme de partir avec leur fils pour Porto Santo où ils seraient à
l’abri. Dona Felippa avait sèchement refusé. Il n’était pas question pour elle
de s’enfermer dans une île qu’elle avait en horreur.
Ce n’était même pas pour demeurer à ses côtés. Depuis
qu’elle avait donné naissance à Diego, elle avait interdit à son époux l’accès
de sa chambre. Elle fuyait Cristovao, prétextant qu’une nouvelle grossesse lui
serait fatale. Un temps, il s’en était accommodé, pensant que, tôt ou tard,
elle reprendrait ses esprits. Il avait dû déchanter. Sa femme n’était plus
qu’une ombre qu’il lui arrivait d’apercevoir parfois quand il rentrait chez lui
tard le soir. Elle se tenait tapie derrière sa porte, soulagée de le savoir là
mais incapable de sortir de sa réclusion volontaire.
Quand il avait interrogé à ce sujet sa belle-sœur, Dona
Violante, lors de son passage à Lisbonne, celle-ci avait poussé un long
soupir :
— Elle tient de ma mère et de la mère de celle-ci. Des
créatures qu’un rien épuise et qui sombrent dans une noire mélancolie. Celle-ci
leur devient une sorte de compagne dont elles ne peuvent se passer. Seule sa
méchanceté et son goût de l’intrigue ont permis à notre mère de conserver une
apparence de vie. Elle ne se soucie pas de nous mais de mon frère et, tant
qu’elle n’aura pas obtenu pour lui la charge dont elle rêve, elle se
raccrochera à ce monde. Ce n’est pas le cœur de ma sœur. Elle est trop bonne et
trop simple pour chercher un divertissement à son ennui. Un jour, vous verrez,
elle s’éteindra comme une chandelle mouchée par une brise légère. Vous n’y
pouvez rien, c’est ainsi. Vous êtes le seul à l’avoir, un temps, détournée de
ses sombres pensées. Pareil effort l’a épuisée. Il vous faut vous préparer au
pire et, surtout, éviter que votre fils n’en souffre. Diego est à un âge où
tout changement est encore le bienvenu. J’en ai parlé avec Dona Felippa. Elle
est d’accord pour que Miguel et moi prenions votre fils avec nous à Palos où
nous allons nous installer.
— Mais c’est mon fils, et je veux le voir grandir.
— Vous l’aimez, soit, nul ne le conteste. Demandez-vous
simplement depuis quand vous avez passé plus d’une heure en sa compagnie ?
Vous hésitez, vous cherchez dans vos souvenirs, cela vaut aveu. Croyez-moi, il
est préférable qu’il vienne vivre chez nous. Nous n’avons pas d’enfants et nous
saurons lui donner la tendresse dont il manque si cruellement. C’est le
meilleur service que vous puissiez lui rendre.
Cristovao avait esquissé un semblant de sourire. Dona
Violante était fine mouche et avait tout compris. En fait, il n’avait pas un
seul instant à lui depuis qu’il s’était établi à son propre compte, quittant le
service d’Eleazar Latam. L’affaire s’était faite presque à son insu. Un jour,
son frère, Bartolomeo, était venu le trouver pour lui faire part de son
intention d’épouser la fille de son patron, mestre Estevao. Sa demande avait été
agréée mais son cadet paraissait comme gêné. Il lui avait demandé de lui
ménager un entretien avec le frère Juliao qu’il souhaitait consulter sur un
point précis, se refusant toutefois à en dire plus. Puis il lui avait annoncé
qu’il ne parviendrait pas à s’occuper seul de la boutique de son beau-père qui
souhaitait finir ses jours à Gênes. Il n’avait pas son pareil pour dessiner des
cartes et des portulans mais était incapable d’en fixer le prix et de discuter
avec la clientèle. Cristovao, affirma-t-il, serait à l’aise dans cet exercice
et, en conjuguant leurs efforts, ils feraient
Weitere Kostenlose Bücher