Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
se lançant dans des récits
où il était invariablement question d’îles qui apparaissaient et
disparaissaient à leur vue.
Ces longues soirées passées dans les tavernes avaient permis
à Cristovao d’être l’homme le mieux informé de tout le port de Lisbonne. Les
capitaines venaient le consulter sur le choix de leurs équipages, écoutant avec
intérêt ses suggestions. Plus d’une forte tête lui devait d’avoir été engagée
en dépit de sa mauvaise réputation. Il s’était porté garant de la qualité dudit
matelot dont les cicatrices sur le dos attestaient qu’il avait reçu à plusieurs
reprises le fouet pour son indiscipline. En cas de tempête, affirmait alors
Cristovao, cet homme n’avait pas son pareil pour grimper dans les mâts et
manœuvrer les voiles. De même, il informait les pilotes des renseignements
qu’il avait reçus sur la présence, au large de tel ou tel mouillage, de récifs
que nul ne pouvait apercevoir de loin, et sur lesquels certains navires
s’étaient brisés alors qu’ils croyaient toucher au port.
Il avait organisé ses journées en conséquence. Il se
couchait tard, après avoir passé de longues heures dans les tavernes. Il se
levait dès les premières lueurs de l’aube et se tenait sur le pas de son
échoppe, attentif à l’agitation de la rue. Il disposait dans l’arrière-boutique
d’une pièce sombre, encombrée de coffres, où il recevait ses clients,
interdisant qu’on le dérange pendant ces entretiens. À midi, il prenait une
légère collation, le plus souvent un plat de sardines arrosé d’un pichet d’eau,
avant de faire une courte sieste. De la sorte, disait-il, il était prêt pour
une nouvelle journée de travail. En fin de journée, après les Vêpres, il se
rendait au monastère de Tous les Saints pour y retrouver frère Juliao et
discuter avec lui de leurs lectures respectives.
Le jardin du cloître bruissait de leurs disputes car les
deux hommes ne se ménageaient guère. Ils s’estimaient assez cependant pour ne
pas se formaliser des propos peu amènes qu’ils pouvaient être amenés à tenir.
Seule leur importait la recherche de la vérité. Ils avaient commencé ces joutes
érudites au lendemain de l’avènement de Dom Joao. Le moine, après avoir révélé
qu’il connaissait la passion de Cristovao pour le Devisement du monde, lui
avait confié en le taquinant à ce sujet :
— Vous l’ignorez sans doute mais ce goût pour Messer
Millione est comme une affaire de famille. Savez-vous qui Marco, son père et
son oncle rencontrèrent à Saint-Jean-D’acre avant de partir pour
l’Orient ?
— Non.
— Le cardinal Thibaud Visconti, appelé à devenir pape
sous le nom de Grégoire X. Or il comptait parmi ses parents les
Palestrelli de Plaisance, dont votre épouse descend. J’y vois un heureux
présage et le signe que la Providence veille sur vous.
— La belle affaire que celle-là ! Me voilà parent
d’un pape. J’en prends toutefois bonne note. Cela fera taire certains de mes
détracteurs qui me soupçonnent d’hérésie. À leurs yeux, c’est suivre les pas du
diable que de s’intéresser aux terres lointaines dont nous ne savons
pratiquement rien. Pour eux, Dieu a voulu qu’il en soit ainsi et que ces
peuples demeurent dans l’ignorance de la vraie foi. C’est une chose que je ne
puis concevoir. Prêter attention aux autres n’est pas un péché !
Frère Juliao avait ri. Il s’était levé et était revenu avec
un livre fraîchement sorti des presses de Venise. Cristovao sourit. Son ami
avait encore cédé à sa passion qui le poussait à acquérir tous les écrits
arrivés à Lisbonne et toujours privés d’imprimerie. Quelle merveille que ces
ouvrages reliés ! Ils remplaçaient avantageusement les manuscrits que des
générations de copistes s’étaient évertués à reproduire et qui se vendaient
fort cher. Désormais, il était possible d’acquérir à un coût raisonnable ces
éditions aux caractères minuscules. Lui-même s’était ainsi procuré un exemplaire
de l’ lmago Mundi, du cardinal Pierre d’Ailly, ainsi que l’ Historia
rerum ubique gestarum, de son compatriote Enea Silvio Piccolomini, devenu
pape sous le nom de Pie II.
Juliao feuilleta le livre qu’il avait apporté et jubila
quand il eut trouvé le passage qu’il cherchait :
— Écoute ce que dit l’un de tes compatriotes, Anselmo
Adorno : Certains pensent sottement qu’il n’y a pas d’autre patrie que
la
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