Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
la beauté et la profondeur. J’avoue que j’ai bien du mal à comprendre
pourquoi il se passionne tant pour les vaticinations de nos rabbins. Je me
garde bien de le lui reprocher par crainte de perdre son amitié qui m’est
précieuse. De surcroît, il vaut tous les médecins de mon entourage. Lui seul
sait me guérir des mauvaises fièvres dont je souffre parfois.
Cristovao n’en avait pas cru ses oreilles. Ainsi son ami
Meshoullam non seulement savait qui était Toscanelli mais il l’approchait, lui
parlait, visiblement d’égal à égal, tout comme il le faisait avec lui. Il avait
supplié littéralement le marchand florentin de se charger d’une lettre pour
Toscanelli. Il avait passé des heures et des heures à en peaufiner chaque
phrase. Honteux du résultat, il avait bien failli renoncer à l’envoyer puis
s’était décidé à tenter sa chance. Que risquait-il ? D’être pris pour un
idiot ? Assurément, il fallait l’être pour avoir osé poser cette question
qui le taraudait : Cypango existait-elle et était-il possible de s’y
rendre par mer ? L’issue était prévisible. L’illustre savant hausserait
les épaules face à tant de naïveté. Il n’aurait pas de temps à perdre à
répondre à un obscur boutiquier lisboète duquel il ne pouvait rien attendre en
retour.
Or c’était tout le contraire qui s’était produit grâce sans
doute à la généreuse intervention de Meshoullam de Volterra. Cristovao tenait
dans ses mains une lettre qu’il n’aurait pas échangée contre un sac de pièces
d’or. Son contenu dépassait ses plus folles espérances. Non seulement
Toscanelli lui confirmait que Cypango existait bel et bien mais il affirmait
qu’il était possible de s’y rendre depuis le Portugal. Il lisait et relisait
ces lignes :
La route à l’ouest en direction des Indes où poussent les
épices et du Cathay où règne le Grand Khan est courte. De Lisbonne par l’ouest
jusqu’à Quinsay et Zaitoun, il y a mille six cent vingt-cinq lieues
italiennes ; mais à partir de l’île d’Antilia, située à dix degrés à
l’ouest du Portugal et que l’on connaît bien, il y a deux mille cinq cents
milles marins. Cette île est riche en or, en perles et en pierres
précieuses ; les temples et les palais sont recouverts d’or massif.
Cristovao savourait comme un nectar la fin de la
lettre :
Je conçois ton dessein grandiose et noble de naviguer
vers l’ouest pour atteindre les pays d’Orient de la façon qui est indiquée sur
la carte que je t’ai envoyée, mais que l’on peut faire ressortir plus
clairement sur un globe terrestre. Il m’est agréable que tu te rendes compte
que non seulement le voyage est possible, mais sûr, et que sa réalisation ne
fait pas de doute, qu’il est appréciable du point de vue de l’honneur et du
profit et qu’une gloire inégalable en rejaillira sur un peuple pris parmi tous
les peuples chrétiens […] de puissants royaumes, des villes et des romans
célèbres, où l’on trouve en masse tout ce dont nous avons besoin : épices
et pierres précieuses.
Cristovao n’en finissait pas de regarder la carte jointe à
la missive. Elle montrait clairement l’étendue de la mer Océane séparant
Cypango de Lisbonne, une étendue où l’on pouvait voir l’emplacement d’Antilia
et de plusieurs autres îles. Il y avait là quelque chose de magique et de
rassurant à la fois, la certitude que les flots ne constituaient pas une barrière
infranchissable. Sa tête bouillonnait. Il lui tardait de faire partager sa joie
à son ami, qu’il se reprochait d’avoir trop négligé ces derniers temps.
À son arrivée au monastère, il héla joyeusement
Juliao :
— Par Dieu, Jérusalem sera délivrée de par ma main, je
t’en fais le serment.
Le moine, surpris par cette entrée en matière, le
dévisagea :
— Serais-tu devenu fou ? C’est grand péché que
d’annoncer la délivrance de la cité sainte tant qu’elle est aux mains des
Maures cruels.
— C’est toi, souviens-t’en, qui m’as mis dans la tête
cette idée en me disant que les véritables chevaliers sont ceux qui amasseront
assez d’or et d’argent pour financer la croisade. Depuis ce jour, je n’ai cessé
d’y penser et d’imaginer les moyens de remplir les caisses de ce royaume en lui
permettant d’acquérir les fabuleuses richesses de Cypango. Il me fallait
trouver la route la plus courte pour y parvenir, sans avoir à passer par l’Asie
où les
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