Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
contrarié et lui avait confié
la lettre, affirmant qu’il ne pouvait pas demeurer plus longtemps à Lisbonne.
L’affaire paraissait être de si peu d’importance qu’elle
était purement et simplement sortie de la tête de Bartolomeo. Il avait rangé la
lettre dans un coffret et s’était promis d’en parler avec son frère à son
retour. En fait, pris par d’autres soucis, il avait fini par en oublier
l’existence. Il ne s’en était souvenu que la veille lorsqu’un pilote italien
était entré dans sa boutique. En écoutant son accent chantant, Bartolomeo,
piteux et confus, s’était rappelé son visiteur. Il avait passé une bonne partie
de la nuit à rechercher la missive et avait poussé un soupir de soulagement
quand il l’avait enfin dénichée. Par chance, elle était intacte.
Le lendemain matin, il l’avait négligemment remise à son
aîné, lui expliquant que le porteur de cette lettre n’avait pas paru lui
attacher une importance particulière. Son frère avait haussé les épaules.
Bartolomeo ne changerait donc jamais. Il serait toujours le même gamin distrait
et étourdi dont il fallait perpétuellement rattraper les bourdes.
Il avait ouvert la lettre devant Bartolomeo qui avait
réprimé un cri de surprise en apercevant son contenu. L’aîné, absorbé par sa
lecture, n’avait pas remarqué le trouble de son frère, mais laissé éclater sa
colère en repliant le texte. Confus, Bartolomeo avait tenté de l’amadouer.
— Je te supplie de pardonner ma négligence. Je te le
répète, j’ignorais que tu attachais autant d’importance à cette lettre. Tu es
le premier à entretenir le mystère le plus complet autour de tes activités.
Nous nous y sommes habitués et nous nous efforçons de ne pas t’embarrasser
inutilement de nos questions. Je sais bien que, sans toi, nos affaires
péricliteraient. J’ose espérer qu’il ne s’agit pas de mauvaises nouvelles. Je
n’ai pas voulu t’en parler mais j’éprouve de grandes difficultés à me faire
payer les sommes que nous doit Eleazar Latam pour trois portulans qu’il a
commandés et qui lui ont été livrés. On dit en ville qu’il est sur le point de
faire banqueroute. Ses coreligionnaires de Castille et d’Aragon lui ont coupé
tout crédit et s’agitent autour de lui comme des vautours. Ils n’auront de
cesse que de lui faire rendre gorge et le pressurer jusqu’à ce qu’il expire.
Cristovao l’avait repoussé. Il détestait que son frère
l’appelle Cristoforo : avait-il oublié qu’il vivait désormais au Portugal
et entendait bien y finir ses jours ? Ce n’était pas d’argent qu’il était
question dans cette lettre mais de bien plus que cela. La missive constituait
la réponse qu’il attendait à ses questions, des questions dont il n’avait
jamais voulu s’entretenir avec ses proches, pas même avec le frère Juliao.
Toute la journée, Cristovao demeura confiné dans
l’arrière-boutique, lisant et relisant le document, le glissant dans un coffret
puis le reprenant et le contemplant comme s’il s’agissait d’une précieuse relique.
La tête lui tournait. C’était à peine croyable. Après tout, il n’était qu’un
modeste négociant lisboète, certes apprécié de ses pairs, mais sans plus. Or
voilà que l’un des plus grands savants de son époque, Paolo Toscanelli, lui
écrivait sur un ton enjoué et amical. Tout cela parce qu’il lui avait fait
remettre une lettre par l’entremise de Meshoullam de Volterra.
À son dernier passage à Lisbonne, au retour d’un voyage en
Orient qui l’avait mené jusqu’à Damas, le marchand juif était venu le voir pour
lui raconter son périple et lui indiquer que les galées vénitiennes se
rendaient désormais directement à Beyrouth en évitant Alexandrie. Il ne se
souvenait plus exactement comment ils étaient venus à parler de Toscanelli, un
médecin, grand connaisseur des astres et, surtout, lecteur assidu de Marco
Polo. À en croire Meshoullam, Cristovao et Toscanelli avaient un point en
commun : ils péroraient tant à propos de Messer Millione qu’ils lui
avaient ôté toute envie de le lire.
Avec la modestie qui le caractérisait, le voyageur juif
avait laissé entendre qu’il connaissait bien Toscanelli. Ce dernier lui avait
demandé à plusieurs reprises de traduire de l’hébreu certains textes dont ils
discutaient volontiers ensemble. Il avait ajouté en riant :
— Ce Chrétien me fait parfois reproche de ne pas en
goûter
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