Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
Lagos.
Tu comprendras l’embarras dans lequel il se trouvait
puisqu’il devait épouser la fille de mestre Estevao, son compatriote, et qu’il
redoutait que sa précédente union soit tenue pour légitime par l’Église.
Je lui ai fait croire que tel pouvait être le cas et que
la nommée Maria entendait d’ailleurs revenir à Lisbonne. Il n’en était rien car
j’ai pris la précaution d’ordonner au gouverneur de Lagos de la renvoyer à la
côte de Guinée.
Il m’a supplié alors de lui venir en aide et je lui ai
promis de faire effacer toute trace de cette union sacrilège, à condition qu’il
mette à mon service ses talents de copiste. Grâce à lui, j’ai donc pu faire
tenir à son frère une prétendue lettre originale de Toscanelli dont il a fait
grand cas.
La ruse a réussi au-delà de toute attente et le Génois
est désormais mûr pour se faire l’instrument de notre volonté.
C’est à toi de décider de la manière la plus opportune de
l’utiliser.
Je suis ton très fidèle et très loyal serviteur,
Frère Juliao.
*
Le 22 octobre 1482
De Michele da Cuneo au frère
Juliao,
portier du monastère de Tous les
Saints.
Je te remercie de ta lettre que tu as confiée à un
marchand de mes amis. Tu le connais bien. Tu m’avais parlé de lui, lors de son
passage à Gênes : l’illustre Meshoullam de Volterra.
J’avoue que j’avais longtemps hésité à rendre à cet ami
la somme qu’il exigeait et dont il était le légitime propriétaire, mais qu’il
avait destinée à un usage infiniment moins profane que l’achat d’une boutique.
Ce que tu m’as appris de ses réelles motivations me
rassure et me réjouit. Il n’a pas oublié, en dépit des années, le serment que
nous avions fait dans notre enfance, et cela m’a comblé d’aise.
Je compte sur toi pour que ta bienveillance continue de
s’exercer envers notre bon duc du Mont Thabor, sans jamais lui révéler que tu
es au courant de ce secret.
Je suis ton humble serviteur,
Michele da Cuneo.
6
À la recherche du royaume fantôme
Cristovao ordonna à sa petite troupe de faire halte. Il était
temps, selon lui, de dresser le camp pour la nuit, à proximité du gué qu’ils
venaient de traverser. L’endroit était dégagé. Voilà des heures que lui et ses
hommes cheminaient dans la savane aux herbes brûlées par le soleil et au sol
rouge comme le cuivre. L’astre était encore haut dans le ciel mais Cristovao
l’avait appris à ses dépens : dans ces contrées, la nuit tombait d’un
coup. Les ténèbres succédaient à la lumière, plongeant les êtres et les choses
dans l’obscurité. Malheur à qui n’avait pas pris ses précautions. Il se
retrouvait soudain exposé à tous les dangers. Autour de lui rôdaient des ombres
inquiétantes, bêtes féroces sorties de leurs repaires, capables de surgir des
profondeurs de la nuit et de décocher leurs flèches meurtrières avant de disparaître
à nouveau comme si la terre les avait avalées.
Deux jours après leur départ de La Mine, leur caravane avait
été assaillie par une horde de guerriers nus, au coucher du crépuscule, alors qu’ils
n’avaient pas encore fait halte. Deux de ses hommes avaient été tués. Les
autres, regroupés autour des montures, avaient veillé toute la nuit, redoutant
le retour de leurs assaillants. La soif et la faim les avaient tenaillés car
nul n’avait eu l’audace de s’éloigner pour aller à la recherche d’un point
d’eau.
Depuis, il prenait grand soin d’établir tôt son campement,
afin de pouvoir faire provision d’eau et de bois, placer des sentinelles,
panser les bêtes et leur donner à boire. Quand ils avaient accompli ces tâches
routinières, les hommes allumaient un grand feu et se rassemblaient autour,
plaisantant quand ils entendaient au loin les rugissements des lions ou les
jappements des hyènes. Sa conviction était faite, ce pays était une antichambre
de l’enfer, un lieu de désolation et d’affliction, dissimulant dangers et
maléfices dans le moindre de ses recoins. Jamais, au cours de ces voyages, il
n’avait éprouvé aussi amère déception. C’était donc cela l’Afrique dont
certains pilotes lui avaient parlé avec émerveillement. Le rêve s’était
transformé en cauchemar.
Pourtant, tout avait bien commencé. Un archer s’était
présenté à la boutique qu’il venait d’ouvrir. L’ ouvidor de la Maison de
La Mine et des affaires de Guinée lui
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