Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
déplaisait plus
de le voir loin de la cour. Après tout, ce Juif impudent ne cessait de lui
reprocher de mettre en danger sa santé en chevauchant des journées entières et
en passant ses nuits auprès de sa maîtresse. Une fois au milieu de la mer
Océane, ce fâcheux ne l’importunerait pas avec ses conseils et ses potions
destinées à purger son corps de ses mauvaises humeurs. Pour mettre le comble à
sa félicité, il aurait fallu que son confesseur fût lui aussi de ce voyage. Il
serait plus utile à prêcher l’Évangile aux païens qu’à se mêler de ses
amours !
Le roi avait donc autorisé le départ de José Vizinho et de
ses compagnons, chargeant l’un de ses écuyers, Diogo Cao, de prendre le
commandement de la flotte envoyée à La Mine. C’était l’homme le plus indiqué
pour le faire. Fils d’un obscur matelot, il s’était forgé une place parmi les
nobles, leur en imposant par sa vigueur, son autorité et ses exceptionnelles
qualités de navigateur. Il débarquerait les savants à La Mine et poursuivrait
son chemin, à la recherche du fameux passage vers les Indes.
C’est dans ces conditions que Cristovao, sans s’y attendre
le moins du monde, s’était vu courtoisement mais fermement invité à participer
à ce voyage. D’où sa convocation à la Maison de La Mine, où il n’eut guère à
patienter. José de Vizinho le reçut dans une vaste salle dont les fenêtres
donnaient sur le Tage.
— Je constate que vous savez désormais retrouver votre
chemin à Lisbonne et que vous ne vous égarez plus dans la Judaria ou la
Mouraria. J’ai appris que vous tenez un atelier de cartographie auquel il nous
arrive d’avoir recours.
— J’espère que nous vous donnons satisfaction.
— C’est le moins qu’on puisse attendre de vous. Cela
dit, nous ne sommes pas ici pour échanger des amabilités. Mon ami et cousin
Eleazar Latam m’a dit beaucoup de bien de vous, à tel point que je suis étonné
qu’il ait pu se passer de vos services. Ce pauvre Eleazar, il est vrai, ne
s’est guère montré heureux en consentant des prêts inconsidérés à des barons
insolvables.
— Il prétend que vous l’y aviez encouragé pour plaire
au roi.
— Chacun fait porter aux autres la responsabilité de
ses échecs. J’ose espérer que rien de semblable ne se produira entre nous. J’ai
songé à vous pour un voyage à La Mine auquel je dois participer avec d’autres
érudits. J’ai besoin d’un homme qui veille à notre confort et qui nous décharge
de tout souci matériel. Accessoirement, il ne serait pas inutile qu’il puisse
nous seconder dans certaines de nos expériences.
— Il me faudra…
— Vous allez me dire que cette proposition vous prend
au dépourvu et que vous devez y réfléchir. Dispensez-vous de ce scrupule.
J’agis au nom du roi et vous lui devez obéissance en tout. Il me suffit de dire
un mot et, demain, vous n’êtes plus rien.
— User de menace à mon égard ne sert à rien. Je sais où
est mon devoir et je n’entends pas m’y soustraire. Combien serez-vous ?
— Quinze en incluant nos domestiques et secrétaires.
— Quand partons-nous ?
— Dans une vingtaine de jours, ce qui vous laisse le
temps de faire vos préparatifs.
— Ai-je le droit de me faire accompagner d’un
serviteur ?
— Nous t’en fournirons un, à nos frais. Rares sont les personnes
à être autorisées à faire le voyage à La Mine et nous les choisissons
nous-mêmes. Il va de soi que vous ne devez parler à quiconque de ce que vous
verrez et entendrez. Inutile de chercher à tricher. Certains, qui se croyaient
malins, ont payé de leur vie leur imprudence.
Cristovao avait dû tout improviser. Il avait fait aménager
le château arrière du navire afin que les membres de la Junte des
Mathématiciens aient chacun une cabine. Domestiques et serviteurs seraient
logés plus à l’étroit, à portée de voix. Il se réserva pour sa part une cabine
qu’il partagerait avec l’ouvidor de la Maison de La Mine, Antao Correa, dont il
avait apprécié la discrète efficacité. Petit de taille, l’homme dissimulait
derrière un masque sévère un esprit caustique. Quand il s’était excusé auprès
de lui de l’exiguïté des cabines, il avait éclaté de rire :
— Cela leur permettra de se rendre compte des
conditions de vie des marins qui sont cent fois pires. C’est peut-être la seule
fois de leur existence où ils pourront le faire et cela me sera utile quand
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