Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
je
devrai attirer leur attention sur les difficultés que nous éprouvons pour
recruter nos équipages. Fais dresser une tente sur le pont pour les protéger
des rayons du soleil. Veille à ce qu’elle soit meublée confortablement et fais
disposer des torchères pour le soir. C’est là qu’ils se tiendront la plupart du
temps, à caqueter dans leur langage auquel je ne comprends rien. Ils se croient
supérieurs aux autres en utilisant des termes compliqués. Agis comme tu
l’entends mais n’oublie pas de leur faire de grands sourires et des courbettes,
comme je le fais. Cela ne te coûtera rien et ils t’en seront reconnaissants.
*
En les voyant monter à bord de la caravelle, Cristovao réprima
un sourire. Les savants, dont il avait deviné qu’ils étaient les fameux hommes
de Sagres, formaient un groupe étrange. On aurait dit des dindons se serrant
les uns contre les autres. Eux avaient précautionneusement gravi la passerelle,
refusant de regarder en arrière par crainte de perdre l’équilibre. Ils étaient
chaudement, trop chaudement, vêtus, comme s’ils redoutaient d’affronter de
terribles frimas au milieu de la mer Océane. Leurs domestiques suivaient,
surveillant le chargement par les portefaix de lourds coffres, de tonneaux et
de caisses.
Emmitouflé dans une houppelande de velours, José Vizinho
semblait faire les honneurs du navire à ses compagnons. Le premier, mestre
Rodrigo, affichait une cordialité de bon aloi. De nombreuses rumeurs couraient
à son sujet. On prétendait qu’il était Maure de religion. En fait, comme il le
confia par la suite à Cristovao, il était né dans la Judaria de Lisbonne mais
avait embrassé l’islam lors d’un séjour à Grenade. Cette apostasie lui avait
permis d’étudier auprès des meilleurs savants andalous et d’avoir accès à leurs
bibliothèques richement fournies en manuscrits rares. À son retour à Lisbonne,
il avait repris son ancienne religion, au grand soulagement de son père. Il
fréquentait toutefois très rarement les synagogues de la Judaria au motif
qu’elles lui paraissaient froides et sans âme.
Il entretenait des rapports très amicaux avec l’évêque de
Ceuta, Diogo Ortiz de Vilhegas, qui était lui aussi de l’expédition. Son léger
embonpoint laissait deviner son penchant pour la bonne chère. Il joua
l’offusqué quand il découvrit l’étroitesse de sa cabine. Fort heureusement,
Antao Correa dissipa habilement sa colère.
Il fit croire au prélat que le capitaine du navire, un
Chrétien fanatique de la pire espèce, avait littéralement bondi de joie en
apprenant qu’il transporterait un prêtre, qui plus est un prélat. Il avait
insisté pour lui offrir de partager sa cabine, un peu plus grande que les
autres, et la pièce où il se tenait habituellement pour travailler. De la sorte,
son passager pourrait jour et nuit lui apporter le réconfort de la religion et
veiller sur le salut de son âme. Il s’était même mis en tête que l’évêque
célébrerait la messe tous les matins devant l’équipage. Antao Correa s’inclina
très bas devant Diogo Ortiz avant d’ajouter :
— Cet imbécile ne vous aurait pas laissé une seconde de
répit. C’est la raison pour laquelle j’ai cru nécessaire de couper court à ses
suppliques. Je lui ai fait croire que vous ne vouliez rien changer à vos
habitudes et que vous souhaitiez disposer d’une modeste cellule pour vous y
recueillir en privé. Bien entendu, si j’ai mal agi, le capitaine se fera un
devoir de vous offrir son hospitalité.
L’évêque l’avait toisé du regard, se demandant s’il était
sérieux ou s’il se moquait. Il se faisait une véritable fête de ce voyage et
n’avait nulle envie de passer son temps à débiter des oraisons ou à entendre en
confession des marins plongés dans la débauche depuis leur plus jeune âge. Il
fit comprendre à l’ouvidor qu’il approuvait sa conduite, lui demandant
toutefois de mettre à son service exclusif un mousse chargé de veiller, nuit et
jour, sur ses affaires.
Les deux autres savants étaient deux barons, deux frères,
possesseurs de fiefs dans l’Algarve, qui avaient étudié à l’université de Coïmbra
et à celle de Salamanque. Ils s’étaient pris de passion pour les mathématiques
et la géographie jusqu’au jour où José Vizinho les avait appelés auprès de lui,
estimant que Dom Joao devait associer sa bonne vieille noblesse à ses
entreprises maritimes, pour la
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