Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
Vizinho
que, s’il arrivait malheur à mes administrés, je ne répondais pas de la
sécurité de ses frères installés sur mes terres et pour lesquels je n’avais
jusque-là que de bons sentiments. J’avoue que cette menace a été très efficace.
— Cela m’étonne de mestre José.
— Mon ami, j’ai bien l’impression que certains de vos
ennuis sont dus à la trop haute idée que vous vous faites des hommes et de vos
interlocuteurs. Je suis sûr que vous me prenez pour un grand seigneur et que
vous vous faites des illusions sur nous. Vous nous considérez comme des
chevaliers œuvrant pour la défense de la foi, de la veuve et de l’orphelin.
Détrompez-vous. Je ne suis qu’un soudard et seul l’intérêt me guide. C’est
d’ailleurs pour cela que j’ai prêté l’oreille aux propos de ce bon Antonio de
Marchena. D’après lui, vous vous proposez d’aller jusqu’à Cypango et vous avez
besoin de navires.
— C’est effectivement ce que je réclame.
— Me garantissez-vous en retour un large profit ?
Cristobal en resta tout pantois. Il pensait qu’il lui
faudrait des semaines et des semaines pour formuler sa demande auprès du duc de
Medina Sidonia. Et voilà que celui-ci lui mettait quasiment le marché en main.
Il s’avança prudemment :
— Je vous promets gloire et renommée.
— Elles ne nourrissent pas leur homme.
— À ce qu’en dit Marco Polo, Cypango possède de
fabuleuses richesses.
— J’ai effectivement pris soin de me faire lire les
affirmations de votre Vénitien, et je voulais les entendre de votre bouche. Je
suis las des médiocres trafics de mes gens à la côte de Guinée et de toutes ces
histoires de coquillages dont ils font si grand cas. Il se trouve que plusieurs
de mes navires sont actuellement à quai, dans l’impossibilité de se rendre à La
Mine, depuis que ces maudits Portugais ont établi un véritable barrage autour
des Canaries. Je puis en mettre deux à votre disposition si vous fournissez à
mon intendant une estimation exacte de vos besoins et de vos dépenses. Vous
avez un mois pour le faire. Nous nous reverrons après la Noël et l’Épiphanie
que je passerai à Séville. C’est là que vous viendrez recevoir mes ordres.
Durant les semaines qui suivirent, Cristobal ne dormit plus
que quelques heures par nuit. De retour à Cordoue, il consacra ses journées et
ses veilles à aligner chiffres sur chiffres et à refaire indéfiniment ses
calculs, effaré par les résultats auxquels il parvenait. Jamais le duc de
Medina Sidonia n’accepterait de délier les cordons de sa bourse, en dépit de sa
fortune qui, selon Miguel Molyarte, était considérable. Toujours aussi bien
disposé à son égard, Rodrigo Enriquez de Harana le mit en rapport avec quelques
marchands de sa connaissance, susceptibles de lui vendre à bon prix les
provisions dont il aurait besoin. Quant à Jacob de Torres, il l’aida à rédiger
un projet de contrat dans lequel les obligations et les engagements des uns et
des autres étaient soigneusement définis et exposés dans un horrible jargon
juridique auquel il ne comprenait goutte.
Lorsqu’il se présenta, courant janvier 1486, au palais du
duc de Medina Sidonia à Séville, il essuya une cruelle déconvenue. Le frère du
duc, Don Luis de Guzman, le reçut froidement et lui expliqua que son aîné avait
été prié de quitter la ville et de se retirer sur ses terres, avec interdiction
absolue de paraître à la cour et d’entreprendre quoi que ce soit. La reine
Isabelle de Castille l’avait disgracié pour avoir, lors des fêtes de la Noël,
insulté en public, lors d’une beuverie, un autre courtisan, Ponce de Léon, le
duc de Cadix, et l’avoir blessé en duel. Or ce Ponce de Léon était l’un des
proches conseillers de la souveraine et les siens avaient exigé que son agresseur
soit sévèrement puni. Luis de Guzman, en prenant congé de lui, lui dit
cependant :
— Je sais que cela contrarie vos projets dont m’avait
entretenu Don Enrique. Je crains fort que sa disgrâce ne soit durable, voire
qu’elle s’étende à tous ses parents. Cet imbécile a tout gâché parce que le vin
lui est monté à la tête. Ce bon Antonio de Marchena, qui vous a en grande
estime, a plaidé auprès de moi en votre faveur. Je ne puis vous être d’aucun
secours dans l’immédiat mais laissez-moi vous donner un bon conseil. Il n’est
pas impossible que votre projet intéresse l’un de nos lointains parents,
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