Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
repos, les avertissant qu’il viendrait les chercher
pour le dîner.
Cristobal eut la surprise de constater que celui-ci leur
était servi dans une petite pièce attenante au réfectoire où se trouvaient les
autres moines. Antonio de Marchena crut bon de se justifier :
— Vous n’avez pas fait une aussi longue route pour
avoir les oreilles rompues par la lecture monotone de la vie d’un saint. Prenez
garde de ne pas me contrarier car je serais fort courroucé si vous vous avisiez
de vouloir à tout prix subir cette épreuve. Je m’y soustrais autant que je
peux. Je vénère nos saints mais je crois qu’il vaut mieux les imiter dans nos
actes plutôt que d’écouter distraitement le récit de ceux-ci. J’ai donc préféré
qu’on nous serve ici où nous serons plus tranquilles pour deviser en paix.
Ils expédièrent rapidement la nourriture, frugale mais
roborative, qui leur fut servie, accompagnée d’un excellent vin. Cristobal
sentait qu’Antonio de Marchena brûlait de s’entretenir avec lui. La prudence
lui conseilla toutefois d’attendre ses questions et de ne pas les devancer.
Dieu seul savait ce que l’évêque de Ceuta avait pu lui écrire. L’homme s’était
montré successivement odieux et amical à son égard, il pouvait avoir à nouveau
changé d’avis.
Antonio de Marchena, devinant sans doute ses pensées et ses
hésitations, finit par lâcher :
— Don Rodrigo m’a appris que vous avez eu bien des
malheurs récemment, notamment celui de perdre votre épouse, laquelle
appartenait à une illustre famille de Lisbonne.
— C’est exact tant en ce qui concerne la perte que son
ascendance. L’un de ses aïeux a sacrifié sa vie pour rendre cette ville à ses
légitimes propriétaires et en chasser les Maures.
— Aussi a-t-il acquis de nombreux mérites qui ont
rejailli sur sa descendance. Votre épouse, soyez-en assuré, aura gagné le
Ciel !
— Je lui souhaite pareil bonheur même si j’eusse
préféré la conserver à mes côtés.
— Les desseins du Seigneur sont impénétrables. Sans
doute a-t-Il choisi de vous mettre à l’épreuve pour mesurer la sincérité de
votre foi. Je conviens que point n’en était besoin car vous me paraissez fort
bon Chrétien. L’évêque m’écrit que vous avez voyagé ensemble à la côte
d’Afrique et qu’il a pu alors apprécier vos talents de capitaine et votre
érudition. Il me parle même du rêve que vous avez forgé de vous rendre à
Cypango. Je sais ce que l’on dit de cette île. Moi aussi, dans ma jeunesse,
j’ai lu, avec peut-être plus de passion qu’il n’en fallait, ce diable de Marco
Polo. J’avoue que je l’aurais bien suivi jusqu’au bout du monde pour porter la
parole de Notre-Seigneur aux païens encore plongés dans les ténèbres. Je
suppose que tel n’est pas votre but.
— Je ne suis pas clerc et je n’ai pas l’autorité
nécessaire pour convertir à la vraie foi ceux qui l’ignorent. Néanmoins je puis
vous assurer que ma démarche n’est pas motivée par l’appât du gain. C’est un
autre objet que je poursuis dont il est peut-être vain de parler maintenant.
Sachez seulement que l’Église n’aurait qu’à s’en féliciter.
— Voilà bien des mystères qui attisent ma curiosité
naturelle. Don Rodrigo ne vous l’a peut-être pas dit, mais je suis comme une
fouine. C’est peut-être pour cela qu’il préfère ne pas se confesser à moi, de
peur que je lui fasse avouer ses plus terribles secrets. Je ne désespère pas de
le faire un jour. Pour le moment, je rends les armes devant votre mutisme.
L’affaire doit être d’importance pour ne pas délier la langue d’un Génois. On
dit en effet ceux de votre nation très bavards, pour ne pas dire menteurs.
— Dans ce cas, j’ai tout perdu de Gênes où j’ai vu le
jour.
— Vous le constaterez, nul n’oublie jamais
véritablement sa patrie. À tort peut-être mais c’est ainsi. Les épreuves de la
vie ne nous apprennent que peu de choses que nous ne sachions déjà. Elles ne
font que les confirmer. Revenons à Cypango. Avez-vous l’intention de vous y
rendre ?
— Voilà qui est drôlement poser la question. Je
m’attendais à ce que vous m’affirmiez que je poursuis une chimère et qu’il est
impossible de naviguer jusqu’à cette terre lointaine.
— Cela, je suis bien incapable de le savoir. Je laisse
ce soin à d’autres. Toutefois, si Diogo Ortiz de Vilhegas a pris soin de me
parler de votre projet,
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