Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
c’est qu’il l’estime possible.
— J’en aurais été le premier heureux. Lui-même et ses
amis en ont décidé autrement. Ils m’ont refusé les navires que j’avais
sollicités de la bonté du roi Joao II. Dieu sait que je n’étais pas
exigeant : deux ou trois navires, qu’est-ce pour un monarque aussi riche
et aussi puissant que lui ? Il est vrai que je réclamais aussi d’être armé
chevalier, comme je pouvais y prétendre compte tenu de l’ancienneté de ma
famille.
— Seriez-vous noble ?
— Par le cœur, sans nul doute. Par le sang,
vraisemblablement, si j’en crois ce que m’a raconté mon père et que j’ai
toujours tenu secret. Même mon ami Leonardo de Esberraya, que j’ai connu à
Gênes, l’ignore.
— C’est là un point qui pourrait jouer en votre faveur.
— Et qui m’a surtout desservi. Car cette prétention
honorifique a fait reculer le roi du Portugal plus que mes prétentions
financières.
— Vous semblez ignorer qu’on le dit pourtant très près
de ses ducats. Il ne les dépense, assure-t-on, qu’avec la plus grande
parcimonie et laisse à ses sujets le soin de financer ses expéditions. Or
ceux-ci, à force de vouloir lui complaire, sont devenus aussi avares que lui.
S’il y a bien un exploit au monde, c’est de se faire payer son dû par l’un de
ces maudits Portugais. Nous en savons quelque chose. Notre monastère possède
des biens, des champs et des maisons, à Castro Martim et à Odeleite, de l’autre
côté de la frontière. C’est à peine si nous parvenons à nous faire payer les
loyers dus. Encore faut-il tonner et tempêter, voire menacer nos débiteurs des
flammes de l’enfer, un petit jeu auquel je n’aime guère me livrer.
— Sans doute avez-vous raison. Serais-je pour autant
plus heureux ici que là-bas ? Qui voudra confier des navires à un
inconnu ?
— C’est là où tu fais erreur. Les grands seigneurs de
ce pays ne sont peut-être pas des modèles de vertu et de piété, ils ont
toutefois l’esprit d’entreprise. En fait, ils y sont contraints car la reine et
le roi ne se montrent guère généreux envers eux. Ils leur ont retiré les
pensions qui leur étaient jusque-là versées et, à titre de consolation, ferment
les yeux sur certaines de leurs opérations. Je suis plutôt en bons termes avec
le très noble seigneur Enrique de Guzman, duc de Medina Sidonia. Si tu le
permets, je lui parlerai de toi et nous verrons comment il peut t’aider.
Peut-être serais-tu bien avisé de rester ici quelques jours. Le duc est sur ses
terres et il pourrait exprimer le souhait de te rencontrer.
*
Cristobal se plut au monastère de la Rabida. Il découvrit
qu’il était pourvu d’une bonne bibliothèque et il se plongea avec passion dans
la lecture de plusieurs manuscrits latins. Pendant ce temps, Antonio de
Marchena s’activait en sa faveur. Avec succès. Car le duc de Medina Sidonia
accepta de recevoir ce « lettré génois », ainsi qu’il le disait, pour
entendre ses explications. Ce n’était pas une mince faveur et, conseillé par
frère Juan Perez, Cristobal prépara soigneusement son exposé. Don Enrique de
Guzman lui fit forte impression. Âgé d’une cinquantaine d’années, il paraissait
déborder d’énergie et ne rien ignorer des entreprises maritimes du Portugal. En
guise d’accueil, il lança joyeusement à son visiteur :
— Ainsi donc, mestre José Vinzinho n’a pas voulu donner
suite à vos projets. Cela ne m’étonne pas de ce Juif. Il n’aime pas que l’on
ait des idées à sa place. Il y voit comme une insulte dirigée
intentionnellement contre lui. Fort heureusement, j’ai toujours eu de bons
rapports avec lui, grâce à un curieux hasard de circonstances. Mon frère cadet,
Don Luis de Guzman, s’était jadis rendu à Covilha, de l’autre côté de la
frontière, pour y acheter des étoffes. Il y fit la connaissance d’un fameux
coquin, un nommé Pero, qui passa à son service et y resta durant des années. Or
ce Pero était originaire de la même ville que votre mestre José, et le
connaissait fort bien. J’ai eu recours à ses bons offices quand les Portugais
ont capturé un navire appartenant à de pauvres gens de Palos. Grâce à lui, j’ai
obtenu leur grâce. Fort heureusement, car ces imbéciles s’étaient fait prendre
avec une cargaison en provenance de la côte de Guinée et quelques lettres
compromettantes écrites de ma main. J’ai discrètement fait savoir à ce
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