Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
citronniers dont le fort parfum lui montait à la tête. Les
arbustes étaient entourés par des massifs de fleurs disposés de manière à
former un H ainsi qu’il l’avait remarqué du premier coup d’œil. Il était
entièrement absorbé dans ses pensées quand un chambellan fit son entrée,
précédant de peu la reine et ses suivantes.
Isabelle de Castille prit place sur une cathèdre agrémentée
de coussins moelleux. Tandis qu’un page lui versait un peu de vin dans une
coupe sertie de pierres précieuses, elle invita Antonio de Marchena et son ami
à s’approcher. Un dais de fine toile la protégeait des rayons du soleil.
Cristobal remarqua qu’elle avait le teint clair et les cheveux tirant sur le
roux, des cheveux retenus sur le haut par un collier de perles mais tombant sur
ses épaules. Il remarqua aussi que, depuis l’audience, elle s’était changée.
Elle portait maintenant une robe de brocart vert rehaussée par une parure de
dentelle finement ouvragée. Sur la table devant elle, une écritoire et quelques
documents attendaient son paraphe. Elle les repoussa négligemment en disant au
moine :
— Même jusqu’ici, mes conseillers s’évertuent à
troubler les quelques moments de loisir dont ils me font l’aumône, en
m’accablant de corvées qui ne souffrent selon eux aucun retard. Tenez, dit-elle
en prenant un papier et en le signant, voici ma bonne ville de Puertollano
pourvue d’un crieur public dont le salaire sera à la charge de la guilde locale
des bouchers. Convenez que la Castille est désormais mieux protégée depuis que
j’ai ratifié cette nomination… Le tout est à l’avenant. Un jour, je signerai
sans rien remarquer ma propre condamnation à l’exil puisqu’on m’a transformée
en une sorte d’écritoire ambulante. Votre visite, mon père, me permet d’obtenir
de mes tortionnaires un bref instant de répit, soyez-en remercié. Ainsi donc,
votre protégé ambitionne de franchir la mer Océane.
Cristobal s’inclina profondément :
— Et d’offrir à la Castille les richesses de Cypango,
des richesses infinies.
— N’oubliez pas dans ce cas l’Aragon, il me faut
également veiller aux intérêts de mon époux. Je suppose que votre Cypango est
très peuplée et que j’aurai aussi à nommer ses crieurs de rue.
— Votre Majesté pourra déléguer à ses gouverneurs cette
mission si Elle le souhaite. Elle aura largement de quoi pourvoir à leur
entretien car ses futurs domaines regorgent d’or et d’épices.
— Voilà enfin une bonne nouvelle. Elle satisfera mon
contrôleur des Finances, Alonso de Quintanilla, qui m’abrutit de ses
récriminations parce que, d’après lui, je mets en péril mon royaume en
entretenant une trop grande armée pour reconquérir Grenade.
— Ce n’est point la seule ville chère au cœur de Votre
Majesté, fit Cristobal en riant.
La reine se tourna vers le moine :
— Votre ami, frère Antonio, prétend connaître mes
pensées secrètes. Je vais croire qu’il est là pour espionner mes faits et
gestes, et les rapporter à mon cousin Don Joao.
Le custode, redoutant que la conversation ne prenne un tour
dangereux, tenta une diversion :
— Je me porte garant de la sincérité et du dévouement à
Votre Majesté de Cristobal. Il s’est sans doute mal exprimé et je supplie de ne
pas lui en tenir rigueur. Ses longs voyages ne l’ont guère familiarisé avec les
habitudes de la cour.
— Soyez rassuré, je plaisantais et ne lui tiens pas rigueur
de sa remarque. Je serai même enchantée qu’il m’explique ce à quoi il pensait.
Cristobal hésita un temps puis, montrant le parterre de
fleurs, affirma :
— Il a la forme d’un « h » comme le
« h » de Hiérosolyma, la Jérusalem des Écritures qui abrite le
Tombeau de notre Sauveur. Votre Majesté manifeste de la sorte qu’Elle rêve de
délivrer la sainte cité et qu’Elle y pense quotidiennement.
La reine le dévisagea longuement et sourit :
— Voilà un homme très perspicace. Cela parle en votre
faveur plus que ne le feraient de savantes déclarations. Vous m’avez exposé
votre projet, vous rendre à Cypango, avec notre royale permission et notre
aide. Vous ignorez sans doute qu’une reine n’a que peu de pouvoirs. Elle se
doit de recueillir l’avis de ses conseillers et de trancher ensuite, si
possible en leur faveur, car ces diables-là adorent avoir raison. Vous seriez
stupéfait d’apprendre comment ils ont réagi quand
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