Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
j’ai décidé de faire aménager
cette partie de l’Alcazar. Ils étaient tous devenus architectes et se mêlaient
du moindre détail comme s’ils allaient y habiter. Il m’a fallu leur rappeler
que je ne serais point mécontente d’avoir un endroit où me retirer et prendre
un peu de repos. Tout ce que je puis faire, c’est ordonner à Alonso de
Quintanilla de pourvoir aux frais de votre logement et de constituer une
commission chargée d’étudier vos propositions. Qu’elle soit composée des
meilleurs spécialistes et qu’elle me rende son verdict lorsqu’elle estimera
être en mesure de répondre aux éventuelles objections qu’on pourrait lui faire.
Nous nous reverrons alors avec grand plaisir, messire Cristobal.
Antonio de Marchena et Cristobal se retirèrent. Alors qu’ils
s’apprêtaient à quitter le palais, un page les prévint qu’Alonso de Quintanilla
souhaitait s’entretenir avec eux. Le contrôleur des Finances les reçut dans ce
qu’il appela son « antre ». À l’en croire, il était le plus
malheureux des hommes, constamment occupé à faire rentrer de l’argent dans les
caisses du royaume, de l’argent qui était aussitôt employé à couvrir les frais
de la guerre contre Grenade. Il expliqua à Cristobal qu’il lui offrirait
volontiers l’hospitalité dans sa demeure et parut soulagé d’apprendre qu’il
avait déjà trouvé à se loger à Cordoue :
— Je veillerai à ce que votre hôte ait l’assurance de
recevoir, quand les Cortès voudront bien faire preuve de générosité, un modeste
défraiement. Quant à vous, vous devrez pourvoir à votre existence. J’ai ouï
dire que le comte de Medina Celi s’était offert à vous verser une pension. Je
veillerai à le lui rappeler car ces grands seigneurs oublient volontiers leurs
promesses quand ils n’omettent pas de nous payer le quinto pour les flottes
qu’ils envoient sur la mer Océane. Quant à la commission dont Sa Majesté vous a
parlé, il me faut du temps pour la réunir. Le père de Marchena acceptera, je le
pense volontiers, d’y siéger tout comme son ami le confesseur de la reine, le
frère Hernando de Talavera. Je songe aussi à Sa Seigneurie l’archevêque de
Tolède, Don Pedro Gonzales de Mendoza, il serait fort marri qu’on ne pense pas
à lui car il a une haute opinion de ses compétences et de ses connaissances,
comme vous le découvrirez peut-être à votre désavantage. Pour les autres
membres, il me faudra quelque temps avant de fixer mon choix et en obtenir la
ratification. À vous revoir donc, messire Cristobal, lorsque tout sera réglé.
Le contrôleur des Finances les congédia ainsi sans qu’ils
aient pu deviner s’il était ou non favorable à leur projet. Le Génois ne fut
cependant pas mécontent de constater que de nombreux courtisans, qui l’avaient
auparavant observé avec dédain, s’empressaient de venir le saluer et le
féliciter comme s’il était le héros du jour. L’un d’entre eux, Don Pedro de
Castro, lui affirma même avoir entendu parler de lui en termes très flatteurs
par l’un de ses partenaires en affaires, Paolo di Negri. Cristobal esquissa un
sourire. Il doutait fort que ce fût le cas mais la mention du négociant n’était
sans doute pas fortuite. C’était une manière de lui signifier que sa présence à
Cordoue n’était pas passée inaperçue et qu’il devait se tenir sur ses gardes.
Tôt ou tard, certains, jaloux de ses succès, ne manqueraient pas de colporter
sur son compte calomnies et ragots.
*
Une neige épaisse recouvrait depuis plusieurs jours les rues
de Salamanque. Les habitants de la cité se terraient chez eux, bien au chaud,
peu désireux de s’aventurer au-dehors sauf en cas de nécessité absolue. Un fort
vent glacé balayait les artères de la cité. Enveloppé dans sa houppelande de
bonne laine, Cristobal songeait avec regret à la douceur des hivers qu’il avait
passés à Lisbonne et à Porto Santo. Ici, tout lui rappelait les rudes frimas de
la montagne ligure. Tout comme à Mocònesi, il gelait à pierre fendre et le feu
allumé dans la cheminée ne le réchauffait qu’à moitié. Depuis son arrivée,
après un voyage épuisant à travers la Castille, il ne cessait de pester contre
l’idée saugrenue qu’avait eue Don Pedro Gonzales de Mendoza de convoquer dans
cette ville la deuxième session de la commission chargée d’étudier son projet
au motif que l’université de Salamanque abritait d’illustres
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