Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
l’obliger à faire quelque
chose contre sa conscience, à condition toutefois de ne rien laisser paraître
de ses réels sentiments.
Elle s’était bien gardée de dire quoi que ce soit à
Cristobal qu’elle aimait profondément. Quand il avait, une fois et une seule,
évoqué la possibilité de faire bénir leur union par le frère Juan Perez, elle
avait poussé de hauts cris. Ils se connaissaient depuis si peu de temps que
cela lui semblait prématuré. Après quoi, il s’était abstenu de consulter le
moine avant de la rejoindre dans son lit. Il avait paru si choqué de cette
réponse qu’il en était resté muet. Elle l’avait amadoué en lui expliquant qu’il
avait été jadis marié à une aristocrate, au Portugal, et que ses nouveaux
protecteurs pourraient prendre ombrage de le voir épouser une fille du peuple.
Depuis, il n’avait plus jamais évoqué ce sujet, trop occupé qu’il était par sa
prochaine comparution devant Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.
Luis de La Cerda et Antonio de Marchena l’avaient informé de
cette faveur exceptionnelle en lui disant que pareille occasion ne se
présenterait pas deux fois. Il devait donc se montrer persuasif, sans dévoiler
tout de ses intentions. À vrai dire, lui avaient-ils expliqué, ils étaient dans
l’incapacité de savoir comment se déroulerait l’entretien. C’était aux souverains
de parler et à lui de répondre, pas l’inverse. Tout dépendrait de l’humeur des
monarques. Si l’un d’entre eux avait éprouvé une contrariété, il se montrerait
hautain et distant. Au contraire, si la cour avait reçu de bonnes nouvelles du
siège de Malaga, le roi et la reine auraient à cœur de se montrer généreux. Le
custode s’était fait fort d’obtenir, quelques jours auparavant, une audience
d’Isabelle qu’il mettrait à profit pour parler de son protégé. Il n’était pas
assuré de l’obtenir. C’était donc à Cristobal de faire preuve d’initiative et
d’agir au mieux de ses intérêts, « de leurs intérêts » s’était
empressé d’ajouter Luis de La Cerda d’un ton mi-figue mi-raisin. Une manière
d’indiquer que son crédit à la cour était en jeu et qu’il ferait payer cher
toute faute à ses deux associés.
Curieusement, c’est auprès de Marwan Ibn Kurtubi que
Cristobal avait trouvé un précieux allié. Sous ses dehors réservés, le Maure
était fin observateur et bien introduit auprès de quelques courtisans. Pour
lui, Ferdinand d’Aragon n’était qu’un grand enfant, tout entier occupé à
satisfaire sa soif de plaisirs. Il n’avait que deux passions : la chasse
et ses maîtresses qu’il laissait paraître à la cour, au grand scandale du
confesseur de son épouse, Hernando de Talavera. Marwan avait mis en garde
Cristobal. Il verrait assurément d’un très mauvais œil ses projets d’envoyer
une flotte sur la mer Océane. Il s’était à plusieurs reprises opposé aux
entreprises des Castillans en direction de la Guinée. Elles contrariaient fort
les intérêts de ses sujets de Valence et de Barcelone qui commerçaient avec
Alexandrie et le Levant et qui lui abandonnaient une partie de leurs bénéfices
en échange de sa protection.
Isabelle, elle, était d’une tout autre nature que son époux.
Montée presque par hasard sur le trône de Castille, elle avait surpris tous
ceux qui espéraient se servir d’elle comme d’un instrument docile entre leurs
mains. Elle prenait fort à cœur les intérêts de son royaume et passait de
longues heures à surveiller la bonne marche des affaires courantes, dans le
moindre détail. Elle s’intéressait beaucoup aux entreprises commerciales de ses
sujets, non pour en tirer un bénéfice sur le plan personnel, mais pour financer
l’interminable guerre contre Grenade. C’était sur la Castille et non sur
l’Aragon que reposait le fardeau financier des opérations militaires
constamment menacées par le manque de moyens. C’était elle que Cristobal
devrait convaincre, et il n’aurait pas la partie facile. Sa seule chance était
que le comte de Medina Celi s’était offert à prendre à sa charge les frais
d’armement de la flotte, sollicitant seulement le patronage de sa souveraine.
N’ayant rien à débourser, elle verrait peut-être d’un œil favorable ce projet,
ou au moins ne s’y opposerait pas formellement.
Le grand jour venu, Cristobal constata qu’Antonio de
Marchena et Marwan Ibn Kurtubi l’avaient sagement
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