Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
conseillé. Quand il arriva à
l’Alcazar de Cordoue, en face de la cathédrale, il aperçut une longue file de
prisonniers, des Maures capturés lors d’un raid audacieux mené contre deux
forteresses tenues par l’émir de Grenade à la frontière avec la Castille. Ronda
et Loja avaient été investies par surprise et leurs garnisons expédiées à
Cordoue où elles attendraient que rançon soit payée pour leur délivrance. Un
providentiel hasard voulait que le principal artisan de ce succès soit le frère
cadet de Luis de La Cerda, Don Jaime, que les autres barons venaient saluer, le
complimentant pour son exploit. C’est à lui que le roi et la reine réservèrent
la quasi-totalité de leur audience, se faisant expliquer la ruse qui lui avait
permis de s’introduire nuitamment à Ronda et d’en désarmer les défenseurs avant
d’envoyer l’un de ses espions, un Maure converti, demander à Loja de venir la
délivrer du siège des Chrétiens. Le traître avait réussi à donner le change et
à convaincre le wali, un cousin de l’émir de Grenade, d’envoyer la plus grande
partie de ses hommes au secours de leurs coreligionnaires. Quand ils avaient
pénétré dans la place qu’ils étaient censés délivrer, ils avaient réalisé mais
trop tard qu’ils étaient tombés dans un traquenard. C’étaient des Chrétiens
habillés en Maures qui se tenaient sur les remparts tandis qu’un fort groupe de
Castillans accourait au galop pour leur couper la retraite. Isabelle avait
beaucoup ri de l’habileté de ce stratagème et se l’était fait raconter
plusieurs fois. Jaime de La Cerda s’était exécuté avec une certaine
complaisance, prenant soin de souligner que la Castille, une fois de plus,
donnait l’exemple.
Quand Isabelle lui avait demandé ce qu’il souhaitait comme
récompense pour sa vaillance, il s’était respectueusement incliné et lui avait
répondu que l’audience accordée à l’un des protégés de son frère le
dédommageait largement de ses efforts. Luis de La Cerda s’était alors approché
mais avait essuyé la rebuffade de Ferdinand, outré à l’idée qu’on ait évoqué
l’absence de ses hommes lors de cette expédition. Il avait tonné :
— L’Aragon se réserve pour des entreprises plus
conséquentes que ces jeux d’enfants. Que serait-il advenu si ce fameux Maure
avait, une fois de plus, changé de camp et prévenu les siens de ce qui se
tramait ? Nous aurions perdu des dizaines et des dizaines de braves
chevaliers et nous aurions été la risée de nos voisins. Comte de La Cerda, vous
êtes sans nul doute courageux et intrépide, il vous manque d’acquérir cette
prudence qui est la véritable clef de la victoire. J’en ai assez entendu pour
aujourd’hui. Mes fauconniers m’attendent et je suis bien décidé à me montrer
heureux à la chasse pour avoir droit aussi aux compliments de ma reine.
Il avait prononcé ces derniers mots avec un rien d’ironie
dans la voix et, s’inclinant devant Isabelle, était sorti, suivi de ses
courtisans, jetant un regard courroucé aux de La Cerda et à Antonio de Marchena.
Ceux-ci étaient sur le point de se retirer quand la reine s’était retournée
vers eux :
— Mon royal époux ne peut se soustraire à ses
obligations, j’en suis la première consciente. Il ne sera pas dit que je ne
suis pas son exemple. J’ai aussi les miennes. Frère Antonio, j’avais promis
d’entendre votre protégé, je tiendrai cette promesse. Vous ne m’en voudrez pas
si je donne à cet entretien un caractère moins formel qu’une audience. Je vous
invite à me retrouver dans les jardins à l’issue de la sainte messe que je vais
ouïr dans ma chapelle privée. Il fait particulièrement beau aujourd’hui et
j’aurais grand plaisir à vous montrer certains des aménagements auxquels j’ai
fait procéder.
Les deux hommes patientèrent sous l’œil faussement placide
des courtisans dont aucun ne vint les saluer. La reine n’ayant pas encore
statué à l’égard de leur demande, mieux valait sans doute ne pas s’afficher
avec eux. Pour le moment du moins. Antonio de Marchena semblait visiblement
trouver plaisir à observer les prudentes allées et venues des uns et des
autres. Sans doute quelques-uns de ses pénitents devraient sous peu faire
amende honorable et expier par des dons généreux leur feinte indifférence.
Cristobal, lui, admirait le jardin où ils se trouvaient. L’endroit était planté
d’orangers et de
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