Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
professeurs dont
il serait peut-être nécessaire de prendre l’avis. Il s’était incliné de
mauvaise grâce, conscient qu’un refus de sa part serait mal interprété.
Lors de la première réunion, au mois d’août 1486 à Cordoue,
il n’avait guère eu le loisir de s’expliquer. Ses « juges » avaient
passé le plus clair de leur temps à définir leurs attributions et prérogatives
et à décider du montant des indemnités qu’aurait à leur verser Alonso de
Quintanilla. C’était alors que l’un d’entre eux, Diego Deza, recteur du collège
Saint-Étienne de l’université de Salamanque, avait fait pression sur
l’archevêque de Tolède pour exiger que la prochaine rencontre se déroule dans
sa cité. À l’en croire, elle avait les faveurs d’Isabelle et de Ferdinand car
elle avait été la première à prendre parti pour la jeune infante de Castille
lors de la succession au trône. Ses nobles avaient joué un rôle déterminant
lors de la bataille de Toro il y avait tout juste dix ans de cela, et ils se
féliciteraient sans nul doute d’être associés à une décision d’importance pour
la Couronne dont ils étaient de si ardents défenseurs. Don Pedro Gonzales de
Mendoza avait acquiescé. Il ne lui déplaisait pas d’avoir à s’éloigner de
Tolède où les querelles entre les membres de son clergé ne lui laissaient pas
un seul instant de répit. Prêtres et moines l’assaillaient de leurs constantes
récriminations, l’empêchant de rédiger son commentaire de la Cité de Dieu du
bienheureux Augustin qui assurerait définitivement sa réputation et lui
permettrait peut-être de monter un jour sur le trône de Saint-Pierre. À
Salamanque, où il avait jadis étudié, il pourrait consulter quelques habiles
théologiens et, surtout, peaufiner son traité dont il se délectait à relire les
premières pages.
Cristobal avait donc fait contre mauvaise fortune bon cœur.
La pension qu’il recevait de Don Luis de La Cerda lui avait permis de se rendre
à Salamanque et de s’y loger à proximité de la vieille cathédrale aux pierres
polies par le temps. Il avait eu le privilège de s’entretenir durant toute une
après-midi avec le mathématicien et rabbin Abraham Zacuto, qui lui avait fait
bon accueil et s’était beaucoup amusé du récit de ses démêlés avec José
Vizinho. À l’entendre, son coreligionnaire et ancien élève était un intrigant
et un ambitieux qui faisait passer ses intérêts avant ceux de la science, et
qui ignorait tout de la cartographie. Rien d’étonnant dès lors qu’il ait fait
obstacle à ses projets, sur lesquels Abraham Zacuto s’était toutefois refusé à
se prononcer. Il se préoccupait uniquement d’établir la carte du ciel et de
perfectionner l’astrolabe qu’il jugeait indispensable aux navigateurs. Peu lui
importait ce qu’ils en feraient et si cela leur permettrait ou non de découvrir
des terres nouvelles. Il ne retenait que la difficulté de son patient labeur et
se comportait comme s’il aurait été fâché de voir ses recherches aboutir, le
privant de sa seule raison de vivre.
Leur rencontre avait eu lieu l’avant-veille. Depuis,
Cristobal se préparait à l’interrogatoire auquel entendaient le soumettre les
membres de la commission. Ce jour-là était enfin arrivé et il se tenait face à
eux dans la grande salle capitulaire du collège Saint-Étienne. Un bon feu
flambait dans la cheminée et ses « juges » avaient pris place
derrière une grande table. Sur la droite, quelques copistes taillaient les
plumes qui leur serviraient à prendre en note leurs débats.
L’archevêque de Tolède ouvrit la séance :
— Je me dois tout d’abord remercier le frère Diego Deza
pour son hospitalité et la peine qu’il a prise de veiller à notre confort. Je
n’en attendais pas moins de lui, que je sais être un zélé serviteur de la
Couronne et de l’Église. J’ose espérer qu’il en est de même de vous, messire
Cristobal.
Surpris par la méchanceté de l’attaque, celui-ci contint sa
colère :
— Si je suis venu en Castille, c’est parce que je
souhaitais mettre mes modestes talents à son service. Quant à l’Église, j’en
suis le fils dévoué et respectueux. Le père Antonio de Marchena peut le
certifier puisqu’il est mon confesseur et directeur de conscience. Je suis bon
Chrétien, fils et petit-fils de bons Chrétiens, et je crois en tout ce
qu’enseigne l’Église.
— Cela reste à démontrer,
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