Christophe Colomb : le voyageur de l'infini
aisément au grand froid qu’à la grande
chaleur. Il est une raison évidente qui fait que l’Afrique, par ses contours
comme par sa population, apparaît petite à tous égards (comparée à l’Europe et
à l’Asie s’entend) : de par sa situation naturelle, ce continent dispose
de moins d’espace, et de par son mauvais climat, il compte davantage de terres
désertiques. Qu’opposez-vous à cela ?
— Je m’en voudrais de critiquer Orose même s’il ne compte
pas au nombre des Pères de l’Église. Je sais qu’il est natif de ces régions et
que vous en tirez légitimement fierté. Je dois même vous confier que le curé
qui m’a éduqué en faisait grand cas. C’est vous dire quelle est sa renommée.
Sur un point, Orose ne saurait être contredit. L’être humain s’habitue au grand
froid et nous le prouvons aisément ces jours-ci à Salamanque.
Antonio de Marchena pouffa de rire :
— Je commence à comprendre pourquoi Diego a insisté
pour nous réunir dans son collège. Cela faisait partie de sa démonstration.
Cristobal reprit :
— Si Orose ne se trompe pas à propos des terres
froides, il fait erreur en ce qui concerne l’Afrique. Elle est comme une moitié
d’Europe et, bien qu’elle soit composée, en son centre, de terres de sable,
elle est habitée en quelques parties. Elle est peuplée d’hommes innombrables
dans ses parties australe et septentrionale, et cela en dépit de la chaleur
excessive qui y règne. Sous la ligne équatoriale, où le jour dure
perpétuellement douze heures, se trouve la forteresse de La Mine à laquelle je
me suis rendu et où j’ai vécu de longues semaines sans être rôti par le soleil.
J’ajouterai une chose. Frère Diego, vous m’avez confié que votre collège abrite
un calice fabriqué à partir de poudre d’or rapportée de la côte de Guinée.
C’est la preuve que des hommes y vivent et y travaillent, ou dois-je conclure
que ce vase sacré est une illusion ?
— C’est assurément une belle pièce qui honore celui qui
nous l’a offerte et dont je préfère taire le nom.
— L’Afrique est donc peuplée, contrairement à ce que
dit Orose. Il se pourrait même qu’elle soit plus étendue en longueur qu’on ne
le croit. C’est ce dont les Portugais, vos rivaux, ont pris conscience à leur
grande colère. Cela les empêche de trouver le fameux passage qu’ils recherchent
pour gagner l’Inde. Il se peut qu’ils ne le trouvent jamais. La Castille a le
moyen de les prendre de vitesse et de s’approprier, avant eux, les richesses de
Cypango. C’est ce que je lui propose en demandant qu’on me laisse partir sur la
mer Océane avec deux ou trois navires en direction de l’ouest. J’ajoute que le
comte de Medina Sidonia s’offre à financer l’équipement de ces navires. Ce que
nous sollicitons, c’est uniquement de pouvoir le faire au nom de la Couronne et
pour l’avantage de celle-ci.
— Est-ce pour vous enrichir ? gronda l’archevêque
de Tolède.
Cristobal répliqua vivement :
— Si tel avait été le cas, je n’aurais pas abandonné la
position que j’avais à Lisbonne. Je me serais contenté d’augmenter mon avoir en
vendant fort cher, aux capitaines et pilotes, cartes et portulans. Les miens
s’en seraient infiniment mieux portés. Il est sans doute encore prématuré de
m’expliquer à ce sujet mais sachez que je suis prêt à renoncer à la plus grande
part de ce qui me reviendra des richesses de Cypango pour un projet qui
intéresse au plus haut point l’Église et qui lui permettra de rétablir son
autorité sur l’ensemble du monde connu. Je n’ai pas de plus cher désir.
*
Le 5 janvier de l’an de
grâce 1486
De Pero de Covilha, écuyer au service
de
Dom Joao II, illustre roi du
Portugal,
au très noble, très haut seigneur
Luis de Guzman,
comte de Medina Sidonia
J’ai bien reçu votre message et je confie cette réponse à
l’un de mes serviteurs qui se rend à Huelva pour mes affaires.
Je me souviens encore de l’époque où je n’étais qu’un
modeste commis drapier auquel votre famille voulait bien confier le soin de la
fournir en étoffes et laines d’excellente qualité.
Vous étiez alors un tout jeune homme et vous m’avez pris
à votre service à Séville, devinant que j’étouffais dans la boutique de mon
père. J’ai tiré largement profit des leçons que vous m’avez données,
m’apprenant l’art des armes. J’y ai à ce point excellé que,
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