Chronique de mon erreur judiciaire
Justice. »
*
L’énoncé du verdict vient taire mes frayeurs : acquittement total, acquittement pour tous. Pour moi aussi, donc, l’huissier d’Outreau. Avec ce même ton autoritaire et souverain, la présidente donne lecture de l’arrêt : « À l’ensemble des questions qui leur étaient posées, la cour et le jury ont répondu “non”. En conséquence, Thierry Dausque est acquitté ; Alain Marécaux est acquitté ; Franck Lavier, acquitté ; Sandrine Legrand épouse Lavier, acquittée ; Dominique Wiel, acquitté ; Daniel Legrand, acquitté…»
Quatre années effroyables, et, ce 1 er décembre 2005, la fin de ce « Tchernobyl judiciaire », titreront le lendemain les journaux. Franck et Sandrine Lavier s’étreignent. Des sourires éclairent certains visages. Les applaudissements jaillissent, puis redoublent, alors que nos avocats nous rejoignent. Aucun d’entre nous ne parvient à s’extraire de son banc. Je suis au bord du coma, incapable d’exulter. Mes premiers sourires viendront plus tard, quand je savourerai enfin ma première soirée d’homme vraiment libre, entouré de ma famille et de mes trois enfants.
Nous quittons la salle d’audience sous une escorte de journalistes qui nous tendent leurs micros. Soutenu par Hubert Delarue, je pleure.
Impossible, en dépit de ce verdict libérateur, de me sentir heureux. Comment imaginer l’homme que je serai, demain ? Comment parvenir à oublier celui que je fus, avant Outreau, un homme heureux, comblé ? Le moindre coup d’œil dans le rétroviseur de mon existence se traduit par un crève-cœur. J’ai eu une femme, elle m’a quitté. J’ai eu une mère, elle est morte. J’ai été huissier de justice, je ne le suis plus. J’ai eu une maison, elle est vendue.
J’ai des enfants : les reverrai-je bientôt, aussi heureux qu’ils le furent, avant Outreau ?
*
Je fus aussi, pendant quatre ans, un criminel, un paria de la société. Me voilà libre, innocent, célébré. Et je ne sais plus où j’en suis. Et je ne sais plus « qui » je suis. Pourrai-je un jour renaître de toute cette boue ?
Chapitre 57
Burgaud face à ses propres juges
ou
Comment la justice ne s’excusera jamais
Ce réveil du 2 décembre 2005 a pourtant un parfum de victoire. La presse, qui nous a vraiment soutenus ces derniers mois, nous traite en héros. Les hommages pleuvent. Quelques heures à peine après l’énoncé du verdict, Pascal Clément, garde des Sceaux, donne une conférence de presse pour, à son tour, présenter ses excuses aux acquittés, au nom de l’institution judiciaire. Il promet des enquêtes, des sanctions, des réformes. Le 5 décembre, c’est au tour du président Chirac de nous exprimer, à titre personnel, toute son émotion, son soulagement. Lui aussi nous présente, en tant que garant de l’institution judiciaire, ses excuses. Il émet le souhait d’écrire à chacun d’entre nous, et il tiendra parole. Nous serons aussi reçus par Dominique de Villepin, le Premier ministre, qui nous assurera de son émotion, de son soulagement.
Et l’institution judiciaire elle-même ? S’excusera-t-elle enfin pour quatre années de calvaire infligées à des personnes accusées à tort ? S’excusera-t-elle pour ces treize vies marquées au fer et parfois complètement brisées, comme la mienne ? S’excusera-t-elle pour avoir causé la mort de François Mourmand, cet homme qui ne demandait qu’à vivre ? Jamais aucun des cinquante magistrats impliqués dans l’affaire ne s’excusera.
À la cour d’assises de Paris, juste après l’énoncé du verdict, l’avocat général se contente d’« exprimer ses regrets ». De simples regrets ! Incroyable.
Mais il y a plus terrible : Fabrice Burgaud est resté magistrat. Pire encore, d’autres juges directement impliqués dans ce carnage judiciaire ont carrément été promus !
*
À l’aube de cette année 2006, le fiasco d’Outreau semble pouvoir être traité en détonateur d’une réforme judiciaire que la société française appelle de ses vœux. Sans attendre, l’Assemblée nationale décide de créer une commission d’enquête parlementaire composée de trente députés, chargée de « rechercher les causes de dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement ». Du 10 janvier au 12 avril 2006, la commission entendra deux cent vingt et une personnes, et ce au cours
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