Chronique de mon erreur judiciaire
accusateurs auraient sans doute débouché sur des résultats bien plus probants. Et justement, c’est au tour de Dave d’être entendu. Dave, ce petit garçon qui, depuis le début, m’accuse d’avoir participé à des « séances » chez les Badaoui-Delay. À la cour de Saint-Omer, il persistait dans ses accusations. Mais personne, alors, n’avait eu l’idée de lui poser une question simple : connais-tu Alain Marécaux, serais-tu capable de le reconnaître ?
Madame la Présidente, elle, va s’en donner la peine. Alors que le petit garçon arrive à la barre, elle lui demande : « Où est Alain Marécaux ? » Il se tourne vers le banc des accusés, cherche du regard, incapable de me désigner du doigt. On lui dit alors que c’est moi, Alain Marécaux. « Tu ne le reconnais pas ? » demande la présidente. Le petit garçon rétorque : « Non, je croyais que c’était l’avocat ! » Et Dave va parler, et il va finir par lâcher : « Pour Alain Marécaux, j’ai menti. »
Et moi je flanche. Car depuis le début, je sais bien qu’il ment, le petit garçon, puisque je ne le connais pas. Mais qu’il me le dise, là, devant tout le monde, à deux mètres de moi, j’en ai les larmes aux yeux.
*
Temps fort, ô combien émouvant : l’audition de mon fils Sébastien. J’attends ce moment depuis le début du procès, je l’espère en même temps que je le redoute. Avant même d’arriver à la barre, Sébastien vient directement m’embrasser : « Bonjour, papa ! » Et on l’interroge à nouveau, et cette fois il me disculpe, évoque un malentendu. Je suis soulagé, bien sûr, même si j’aurais voulu qu’il soit plus ferme dans son discours, l’entendre énoncer clairement : « La dernière fois, ce que j’ai dit était faux ». L’audience est suspendue. Nous nous jetons dans les bras l’un de l’autre, nous pleurons. Et je lui martèle qu’on punira les méchants qui nous ont fait du mal !
Oui, la parole des enfants est fragile et malléable. C’est l’une des grandes leçons à tirer de cette terrible affaire d’Outreau.
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Mon dossier s’effondre, celui des époux Lavier s’effondre, tout comme ceux de Dominique Wiel, de Daniel Legrand fils, de Thierry Dausque. Coup de théâtre : Yves Bot, procureur général de Paris, débarque dans la salle d’audience sans même en avoir averti la présidente. À la surprise de tous, il présente des regrets, au nom de la justice, pour « cette véritable catastrophe ». Un geste fort, propre à nous rassurer définitivement.
Et pourtant, pas un seul d’entre nous n’ose crier victoire. Et si nous n’étions pas tous acquittés ? La condamnation de Saint-Omer n’a-t-elle pas prouvé que, même innocents, certains d’entre nous pouvaient encore être déclarés coupables ?
Verdict demain, jeudi 1 er décembre 2005.
Chapitre 56
L’acquittement
ou
La fin du tsunami judiciaire ?
Ce procès d’Outreau, c’est un cas d’école, un ovni judiciaire, en ce sens qu’il a, de bout en bout, dérogé aux principes qui président au droit français. Il a bafoué celui de la présomption d’innocence ; il a érigé la règle de la détention provisoire au lieu et place du principe de liberté ; il a inversé la charge de la preuve qui appartient au ministère public en demandant aux mis en cause d’apporter celle de leur innocence. Les experts ont remplacé les juges, les avocats étaient des ennemis, le juge d’instruction n’instruisait qu’à charge…
Aussi, ce procès tragiquement exceptionnel ne pouvait-il engendrer qu’un verdict d’exception.
*
Fait rarissime, ce jugement en appel ne donnera lieu à aucune plaidoirie de la défense. C’est l’avocat général, dont le rôle est dédié à l’accusation, qui, de sa propre gouverne, prend la parole pour réclamer notre acquittement aux jurés : « Vous acquitterez ces personnes, non pas au bénéfice du doute, mais parce qu’elles n’ont rien fait. »
Puis c’est au tour du doyen des avocats de la défense de s’avancer vers le micro : « Nous demandons une minute de silence pour François Mourmand. » François Mourmand est le quatorzième acquitté d’Outreau. Cet homme de trente-deux ans de la Tour du Renard a été raflé, lui aussi, le 14 novembre 2001. Il est mort en détention d’une « surdose médicamenteuse » après un an d’emprisonnement. Il ne saura jamais qu’il est libre, qu’il est innocent aux yeux de
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