Chronique de mon erreur judiciaire
appel.
Tout cela, tant d’horreur à cause d’une seule personne Quelle pitié !
*
À la lecture de ce livre, certains diront, j’en suis sûr : « Il fait comme tous les condamnés, il clame haut et fort son innocence. Mais qu’est-ce qui la prouve ? »
Si tel était le cas, les choses démarreraient mal pour moi. On ajoutera que l’erreur judiciaire existe, mais aussi que l’instruction a été conduite par des personnes instruites et intelligentes, donc qu’il devait y avoir quelque chose de pas net là-dessous. L’opinion ajoutera qu’on peut commettre une erreur judiciaire, mais que, tout de même, quatorze, c’est un peu trop. Et de conclure vraisemblablement par cette sentence qui, désormais, me poursuivra toujours : « Il n’y a pas de fumée sans feu. » Aujourd’hui, je le sais : de ces accusations horribles de pédophilie, il faudra me défendre encore et toujours.
Il serait bon pourtant de rappeler que les magistrats peuvent commettre des erreurs, forts de leur autorité, sans que personne n’ose les contredire sur le moment. Mais qui me croira ?
Et si je souligne que de nombreux exemples historiques racontent les méfaits et les horreurs gravissimes d’hommes de pouvoir prenant de mauvaises décisions – le général Gamelin envoyant nos troupes vers la Belgique en 1939-1940 au moment où les chars allemands perçaient la défense française dans les Ardennes – sans qu’on ose les arrêter avant qu’ils ne commettent d’énormes dégâts, on me rétorquera sans doute que mon cas n’a rien à voir. Et pourtant ?
Ce dossier Outreau – le procès de mai 2004 l’a mis en évidence – n’a-t-il pas été conduit de bout en bout avec maladresse ? Les assises n’ont-elles pas prouvé les invraisemblables aveux des accusateurs, l’aveuglement de l’enquête, la mise en branle d’une machine à broyer infernale qui a happé maints innocents ? N’a-t-il pas attesté une nouvelle fois que la fable du loup et de l’agneau selon laquelle « la raison du plus fort est toujours la meilleure » reste d’actualité ? Car, au bout du compte, n’ai-je pas été condamné à du sursis alors que je suis innocent de tout ?
Aussi, à la veille d’être à nouveau présent devant la cour d’assises d’appel de Paris, je souhaite qu’après tant d’années, on écoute enfin ce que j’ai à dire. Qu’on découvre ce que j’ai enduré, supporté, vécu, perdu aussi ! Que l’on me suive dans ma descente aux enfers, qu’on me juge – peut-être – en véritable connaissance de cause. Pour prendre conscience qu’un drame comme celui dans lequel j’ai sombré peut arriver… à chacun d’entre nous.
Prologue
« Ceci est mon testament : Je, soussigné, Alain Marécaux, sain de corps et d’esprit, etc. »
Sur ces tristes paroles, en juillet 2003, je m’apprêtais à mettre un terme au cauchemar implacable qu’était devenue ma vie. N’en pouvant plus, j’avais rédigé cet acte durant un internement, pour cause de grève de la faim, à l’hôpital psychiatrique d’Amiens et l’avais remis en mains propres à ma sœur Dany, chargée de le déposer en l’Étude d’un notaire de son choix. Ce testament ne contenait rien d’extraordinaire, puisque mon épouse et moi-même étions mariés sous le régime de la séparation de biens, avec donation au dernier vivant ; il visait surtout à organiser dignement mes funérailles. En effet, après le rejet d’une demande de mise en liberté le 1 er juillet précédent par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai, je savais que ma vie touchait à sa fin. Puisqu’une cour d’appel jamais ne se dédit, je refusais de lui laisser le dernier mot. Pour mes obsèques, j’avais même tout préparé jusqu’au moindre détail, ayant choisi le lieu, les chants et les lectures auxquelles mes trois enfants devaient prêter leur voix.
Détenu depuis des mois sous de fausses accusations et à cause d’une instruction judiciaire qui s’éternisait, je préférais tirer ma révérence plutôt que de subir plus longtemps l’emprisonnement. Au bout du rouleau, je voulais aussi montrer par ce geste grave à ceux qui m’avaient plongé depuis des mois dans l’univers carcéral que je savais garder la tête haute. Ni aveu, ni fuite, le suicide correspondait dans mon esprit à une dénonciation.
Pourtant, cette détermination n’alla pas à son terme, à cause d’une conversation avec un
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