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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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respect scrupuleux et non incantatoire de la présomption d’innocence, la culture du doute et la recherche laborieuse de preuves indiscutables et de qualité, confortées par des éléments objectifs, que, par inexpérience, par complaisance et par conformisme, on a commis cette troisième erreur qui est sans doute la plus grave.
    *
    C’est aux hommes et aux femmes composant le jury de Saint-Omer que nous devons d’avoir accompli le premier pas dans la reconnaissance tardive mais salutaire de l’erreur judiciaire qui était en train de se commettre.
    Pour une fois, le hasard, auquel bizarrement l’institution s’abandonne pour décider des affaires les plus graves, a bien fait les choses.
    En quelque sorte, la revanche du bon sens populaire, fruit du tirage au sort, sur la compétence, l’expérience, la connaissance de magistrats professionnels qui sont restés sourds, insensibles, autistes au drame qui était en train de se commettre sous leurs yeux.
    En plaidant à Saint-Omer, je n’ai rien dit d’autre que ce que j’avais écrit au juge d’instruction, et répété sans cesse dans les mémoires déposés au greffe de la chambre de l’instruction de Douai.
    *
    Mais il ne suffit pas d’écrire, encore faut-il être lu, à défaut d’être cru, ou d’être compris.
    À l’heure où j’écris ces lignes, le procès d’Outreau n’est pas terminé, la réserve s’impose.
    Rien n’est encore définitivement joué.
    Il ne fait pas bon, soyez-en convaincus, de se prévaloir aujourd’hui de la « jurisprudence d’Outreau » devant les tribunaux de France – la mauvaise conscience suscite ironie et dédain – « Ah, encore Outreau…»
    La justice française, qu’on le veuille ou non, reste d’inspiration monarchique. La procédure pénale comme le rappelle mon confrère Thierry Lévy, reste d’inspiration autoritaire. L’archaïsme du système inquisitoire, le pouvoir discrétionnaire, les explications « sommaires » devant la chambre de l’instruction (qui conditionnent d’ailleurs peut-être une justice du même nom…), le secret qui entoure la procédure, l’indifférence au doute, et l’incapacité à reconnaître que l’on s’est trompé, font de notre institution un bastion isolé du corps social, corporatiste, qui se nourrit de l’incompréhension des autres et se satisfait de lui-même dans le dédain policé des autres acteurs que sont les auxiliaires ou supplétifs de justice, qu’il tient alors pour des gêneurs.
    *
    Alain Marécaux a fait le choix de tout dire de ce qu’il a surpris, vu, entendu dans les geôles misérables où il s’est trouvé confiné, dans le bureau du juge, ou au procès de Saint-Omer.
    Attentif à lui-même comme aux autres, son récit minutieux, étonné parfois, nécessairement répétitif, terrifiant à bien des égards, mais riche d’humanité, est aussi l’outil de sa reconstruction, et l’appel à un avenir meilleur.
    Pour la justice dont il a été paradoxalement le serviteur inconditionnel et zélé, et dont il ne veut pas désespérer, pour sa famille surtout, endeuillée, meurtrie, séparée, et pour lui-même enfin, à travers ce qui s’apparente à une thérapie : témoigner, dire l’injustice pour la conjurer, et renaître enfin, peut-être, à une vie nouvelle.
     
    Hubert Delarue,
    Avocat à la Cour

Avant-propos
    Tout a commencé à Samer, une petite bourgade pittoresque de trois mille âmes dans la région boulonnaise, un 14 novembre 2001, date qui aurait dû être celle d’une journée comme les autres pour ma famille et pour moi. Un jour normal parce que ma profession, huissier de justice, laissait peu de place à l’imprévu. Amoureux de mon métier, j’étais plutôt fier d’être arrivé à me constituer une telle clientèle, heureux de voir mes parents, ma femme, mes enfants se réjouir de ma situation d’officier ministériel. Conscient de bénéficier d’une réputation excellente, je voyais l’avenir sereinement. Ne m’avait-on pas proposé, peu de temps avant cette date fatidique, un poste honorifique de chargé de cours en faculté ? Il était même question, toujours durant cet incroyable hiver, de faire passer des examens à mes étudiants. Certes, au goût de ma famille, j’avais sacrifié trop de choses à ma carrière, et mes trois enfants, comme ma femme, ne manquaient pas de pester contre mes horaires tardifs, puisque tout juste nous accordions-nous un petit dimanche de loisir en commun.

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