Chronique de mon erreur judiciaire
de choix à vivre ou pas, je décide de reprendre ma grève de la soif.
*
Le lendemain je me réveille tôt, paniqué à l’idée d’abandonner un lieu devenu familier pour un autre, inconnu. Inquiet de quitter un personnel soignant globalement serviable et attentionné, en somme humain comparé à tant d’autres. Car, ce soir, de quoi sera-t-il fait ? À quoi va ressembler cette nouvelle maison d’arrêt dont le nom à lui seul évoque le pire, Fresnes ?
Vers 11 h 30, la coiffeuse me donne, à ma demande, le profil d’un bagnard. En début d’après-midi, entre dans ma chambre un des surveillants chefs de la maison d’arrêt d’Amiens avec qui j’ai toujours eu des rapports corrects, pour me faire signer un arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Douai. Vers 15 heures, deux ambulanciers m’installent douloureusement sur une civière. Allongé dans l’ambulance je pleure, sanglots entrecoupés d’une conversation sur mon affaire avec le surveillant, que ce dossier laisse perplexe, et par une énorme douleur au mollet droit, signe que mon rythme cardiaque augmente furieusement. Les spasmes s’accélèrent. La fin approche. Surviendra-t-elle à Fresnes ?
*
En franchissant le porche de cette nouvelle prison, de nombreuses pensées tournent dans ma tête. Des pénibles comme des moins douloureuses. Tout d’abord, je suis heureux d’avoir été un Marécaux, fier d’avoir eu des parents comme les miens et d’avoir laissé une postérité. Je songe à papa, qui partage mes peines et mes angoisses, à mes deux sœurs qui, depuis le 14 novembre 2001, me soutiennent, m’aident, me secourent sans jamais flancher. Également au reste de ma famille, mes beaux-frères, ma filleule Valérie, neveux et nièces qui, eux aussi, m’ont accompagné dans la traversée de ces mois douloureux. Je revois aussi certains surveillants de la maison d’arrêt de Beauvais ou d’Amiens, qui ont su rester humains ; le personnel médical des établissements psychiatriques de Clermont-sur-l’Oise et d’Amiens, chez qui j’ai bénéficié d’une écoute, d’un professionnalisme, d’une humanité et d’une gentillesse formidables. En mon âme meurtrie, je remercie chacun des cadres du service dans lequel j’étais, dont MM. Roger à Clermont et Samataro à Amiens, sans qui je n’aurais jamais pu avoir la visite de mes sœurs ; sans oublier l’aumônier de la maison d’arrêt de Beauvais, le père Hubert, Alzira et Danièle de la maison d’arrêt d’Amiens, le frère Stéphane du centre psychiatrique de Clermont, et le père Joseph de celui d’Amiens, dont l’assistance spirituelle me fut un réconfort.
Malheureusement, tout tableau comporte sa part d’ombres. Et, au fond de moi, une déchirure est apparue. J’y songe tandis que la sirène de l’ambulance résonne : depuis peu, en plus de l’incroyable erreur judiciaire dont je suis victime, une autre guerre se joue : celle de mon couple en péril.
Parce que je ne corresponds plus – mais l’ai-je jamais été à leurs yeux ? – au mari parfait dont certains membres de ma belle-famille rêvaient, ils semblent avoir entamé un travail de sape auprès d’Odile. Revenue auprès d’eux depuis sa libération, ma femme a choisi de prendre ses distances. D’oublier le martyre que nous endurons en coupant les ponts avec moi. Moins de lettres, peu de contacts, pas de parloir, j’aurais dû m’attendre à quelque chose, mais je l’aimais tellement que je n’ai rien vu venir. Or là, c’est un fait. Son silence se révèle si assourdissant que je dois me résoudre à l’incroyable : Odile, la femme que j’aimais par-dessus tout, m’a abandonné. Décidément, cette affaire d’Outreau m’aura vraiment tout pris.
Chapitre 24
Quatre-vingt-dix-huit jours de grève de la faim
ou
Terminus Fresne s
Sur ma chaise roulante, dans l’ascenseur qui me conduit vers l’hôpital de Fresnes, j’ai l’air d’un vieux grabataire sans force. Un fantôme passé de quatre-vingt-dix-sept kilos voilà un an à cinquante-cinq kilos aujourd’hui.
À sœur Bégonia, religieuse cadre du service qui m’accompagnera durant mon séjour, je fais part de mon désir d’en finir par une grève de la faim. Elle se montre compatissante, tendresse affectueuse qui me va au cœur mais n’entame pas ma détermination. La chambre où je suis affecté, qui comporte deux lits, est une pièce de luxe par rapport à ce que j’ai connu. Elle est
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