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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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j’ai des troubles de la vision, des douleurs musculaires atroces. Même le médecin convient qu’il ne peut rien faire contre mon mal, puisque je dépasse de beaucoup les doses médicamenteuses maximales. Il me le confirme sans détour : en persistant à ne pas m’alimenter, je mets ma vie en danger et, si je m’en sors, les séquelles seront irréversibles. Je l’écoute mais je continue.
    Preuve que tout va mal, une nuit, tandis qu’un orage éclate, je m’efforce de regarder un film érotique à la télé… qui ne me fait aucun effet. Ma libido a toujours été faible, mais là je vois qu’elle m’a déserté. Je suis désormais en phase de survie.
    Le lendemain, toilette sommaire parce qu’on ne peut plus me bouger. À vrai dire, je suis une épave sans forces. Sonde gastrique, Pénilex, qu’importe, une femme peut facilement me maintenir immobile et effectuer tout ce que le médecin de service lui ordonne. J’ai juste dans la main gauche la télécommande du téléviseur et dans la droite la sonnette. Le reste ne bouge plus. Pourquoi s’échiner à essayer de vivre puisque personne ne m’écoute, puisque je suis innocent de tout mais en prison depuis vingt-trois mois, soit presque deux ans, en grève de la faim depuis quatre-vingt-dix-huit jours, soit plus de trois mois ?
    *
    7 octobre 2003. À 18 heures, alors que je tente faiblement de m’intéresser à la télévision, je reçois un choc comme il m’en est rarement arrivé dans mon existence : un surveillant entre dans ma chambre assez fébrile et m’annonce… que je suis libre.
    Est-ce une farce ? Non ! Immédiatement, la nouvelle est en effet confirmée par l’infirmière et le médecin, réjouis pour moi. Et là, aussi incroyable que cela puisse paraître, il se produit chez l’être délabré que je suis l’effet inverse de ce qu’on est en droit d’attendre. Au lieu de la joie, c’est une peur panique qui m’envahit, gagne mon esprit, paralyse mes mots et mes réflexions. Désespéré, je bredouille que je veux rester ici, être de nouveau attaché, promettant de signer toutes les décharges nécessaires, avançant que je connais mes droits et entends les faire valoir. Comme si je n’y croyais plus. Comme si retrouver cette liberté attendue après tant de souffrances relevait pour moi de l’irréel, du cauchemar, d’un ultime jeu de dupes. Comme si reprendre contact avec l’existence, la vie extérieure, les miens, revenait à me pousser à l’eau du haut d’une falaise sans que je sache nager. Comme si le « cocon » – tout est relatif – de la prison correspondait désormais pour moi au seul univers structuré capable de m’accueillir, ayant perdu mon métier, ayant vu ma famille se disloquer, ayant tout à reconstruire avec, sur les épaules, l’épée de Damoclès du procès. Que faire, dehors, quand on n’a plus rien en soi ?
    *
    Après une courte entrevue entre le médecin et le directeur de l’hôpital, il est décidé de mon départ immédiat. Je fume une cigarette, ayant toujours autant de mal à appréhender ce qui m’arrive. Anne-Sophie, une jeune aide-soignante dévouée du service, me passe un pyjama propre et, à peine habillé, deux ambulanciers me placent sur un brancard, direction le greffe avant le départ vers un hôpital proche. Là, comme flottant dans un monde irréel, je vois défiler des visages, des murs colorés, des lumières. Là, aux abonnés absents, à un surveillant qui me secoue, me demande comment je m’appelle et me donne de l’argent, je réponds machinalement sans réaliser de quoi il retourne. Ayant perdu tout repère, je signe des papiers, tends mes doigts pour donner mes empreintes, m’en vais dans un halo d’inconscience. Pour ne reprendre conscience, seul parmi les patients, que dans le hall d’un hôpital grouillant de monde… où je suis enfin libre.

Chapitre 25

Je suis libre
ou
Se battre pour reconstruire
    À l’heure où je reprends cette chronique, je suis un autre homme. Plus un prisonnier, plus un malade en grève de la faim, mais un mis en examen qui lutte pour faire éclater son innocence au procès et tente de consolider son monde tombé en ruines. Ce qui n’est pas une mince affaire. Que s’est-il passé depuis mon retour à la liberté ?
    *
    Ma liberté sous contrôle judiciaire a donc enfin été prononcée après vingt-trois mois de détention. Une durée effarante quand on n’a rien à se reprocher mais en deçà encore des

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