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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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« peines » de préventive infligées à certains compagnons d’infortune de cette affaire d’Outreau qui en ont fait trente. J’ai, en somme, gagné huit mois grâce à ma grève de la faim. En vérité, personne ne peut imaginer le prix de ces huit mois. Et si je pourrais sembler exagérer mon calvaire au goût de certains, que l’on sache que mes souffrances ont été fort bien comprises par le personnel médical exemplaire de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, ainsi que par tous ceux qui constituaient mon cercle affectif. Qu’on en juge.
    *
    Lorsque j’arrive dans ce grand centre de soins, tout me paraît irréel. Quand mon brancard s’arrête dans les courants d’air, j’ai froid malgré ma couverture de survie, ce symbole des grands brûlés ou des accidentés de la route qui me va à merveille puisque je suis un accidenté de la vie. Pour l’heure, des hommes en blanc prennent en charge l’épave pantelante qui leur arrive et attend dans un couloir où déambulent beaucoup de patients. Bientôt, je suis pris en charge par une infirmière qui parvient à faire une prise de sang à ce pseudo-cadavre (10) . Ensuite, mon brancard est conduit chez un médecin qui constate que mes jambes ne suivent plus et que mon bassin est devenu insensible. Des radios s’imposent, or passer du brancard à la table relève de l’ascension d’une montagne de douleur que je ne peux franchir sans aide.
    À 23 h 30, on m’avertit de la nécessité d’un scanner. Je m’affole : et si une paralysie définitive menaçait ? Me remettre à manger doit intervenir graduellement, par la faute d’un estomac rétréci. L’organisme étant fait de soixante à soixante-cinq pour cent d’eau, j’ai des besoins hydriques démentiels : jusqu’à douze litres par jour. Par ailleurs, mon métabolisme basal s’avère totalement désordonné. Ainsi j’apprends, au fil des jours, à essayer de retrouver des forces dans cet établissement. Mon ventre ne fonctionne plus. Dès lors, je me retrouve plus souvent qu’à mon tour aux toilettes, où je dois aller avec quelqu’un, à ma plus grande honte, mes jambes refusant tout déplacement. Si bienveillantes soient mes aides-soignantes, je souffre de leur infliger le spectacle d’un homme diminué, recroquevillé entre la cuvette et le mur, meurtri aussi de subir un énième dommage collatéral des inconséquences de cette affaire.
    Autre dégât, mon appétit ne revient pas et le goût a disparu. Mon café ressemble pour moi à de l’eau chaude, un biscuit à un bol alimentaire farineux. Corollaire, je n’ai pas non plus d’odorat, ce qui constitue une source de tourments pour la diététicienne qui me suit. Histoire de ne rien arranger, je suis désormais dégoûté des produits camés. Or, sans apport protidique, ma masse musculaire ne peut se régénérer, d’où le risque de m’enfoncer un peu plus dans le labyrinthe de l’immobilité.
    Prolongeons encore cette liste de tourments. Les maux de tête sont quasi permanents et mes capacités de raisonnement éteintes ou faibles, ma pensée restant floue, déréglée. Certains se diront peut-être, en lisant cette description, qu’après tout je paie les conséquences d’une grève de la faim à laquelle rien ne m’obligeait. Certes, mais si j’en garde les séquelles, je ne regrette pas ce choix. Pour dénoncer l’erreur dont j’ai été victime, je devais frapper un grand coup, montrer par ma ténacité la vigueur de mon innocence.
    *
    Peu à peu, je reprends contact avec la vie. Recevoir des visiteurs me comble de joie. Il ne se passe d’ailleurs pas une seule semaine sans que Thérèse, son mari Dominique et ma filleule Valérie viennent me voir et m’apportent des produits d’hygiène, des fruits secs, des arachides et même du chocolat noir, prenant le temps de rester pour me faire réviser mon passé.
    Un jour, alors qu’ils sont présents, surgissent aussi sœur Bégonia, sœur Marie Jo et la religieuse qui priaient pour moi tous les jours à Fresnes. À leur vue, ma joie est intense car je sais leur amour pour moi, la force de leur compassion et leur conviction de mon innocence. Je m’entretiens avec sœur Bégonia de l’amour du Seigneur, chose plus complexe que je ne le croyais, lui demandant pourquoi il m’avait tant fait attendre si c’était pour me libérer quelques instants avant ma mort ?
    Un autre problème me hante : retrouver ma mémoire. Le passé, avant ma fatale arrestation,

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