Chronique de mon erreur judiciaire
s’est transformé, avec cette grève de la faim, en puzzle à reconstruire. Si je conserve la mémoire immédiate – celle de mon incarcération –, ma vie familiale s’avère plus floue. Heureusement, mes enfants et ma femme n’ont jamais quitté mon esprit une seule minute. Ma maison, en revanche, ne correspond pas à l’image que mes sœurs en donnent. Pour mon Étude, là encore, il me manque des éléments. Le passé lointain est donc enfoui, traversé quelquefois par des flashs comme la vision de ma première cigarette, de mon vélo de course ou de détails anodins comme la culotte à fleurs visible dans la transparence du pantalon de la maman de mon filleul, ce qui nous faisait rire en terminale. Dès lors, je dois m’astreindre à des exercices de mémorisation, gymnastique des neurones désagréable parce qu’elle me rappelle l’interrogatoire subi en prison chez le psychiatre.
En fait, prendre conscience de son propre délabrement s’avère un supplice terrible. Et, très souvent, lorsque je cherche un réconfort dans les méandres de mon esprit affaibli, mon inconscient me le fabrique en ressuscitant ma mère. Plus que jamais, dans ma détresse, elle surgit comme un ultime secours.
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Une autre fois, j’éprouve beaucoup de bonheur en recevant une visite du pasteur Dorte Oloé. En découvrant cette femme qui a baptisé mes trois enfants et dont je n’avais plus de nouvelle depuis son départ de Boulogne-sur-Mer, mon cœur fait un bond. Le passé souriant vient me faire un clin d’œil. Elle m’embrasse, me dit qu’elle m’a longtemps cherché quand elle a appris mon arrestation et m’apporte le bonjour du conseil presbytéral qui m’assure de son amitié comme de son soutien.
Transporté de joie, aussitôt je m’ouvre à elle, racontant l’enquête bâclée, mon sentiment de partialité du juge, les horreurs de ma détention, les hospitalisations d’office en psychiatrie, ma grève de la faim, son dénouement heureux. Elle m’écoute, s’avoue choquée par certains détails. En tant qu’Hollandaise, elle se faisait une tout autre idée de la France des droits de l’homme. Sa compassion me fait du bien.
Comme me procure du réconfort l’attention du personnel soignant. Ainsi les kinésithérapeutes font-ils avec moi un travail incroyable. Variant leurs exercices à l’envi pour me réapprendre à marcher, ils m’obligent à des efforts de traction et de flexion. Dans les autres services aussi on prend soin de moi. Pour un médecin, que vous soyez criminel ou innocent, vous êtes avant tout un malade, un blessé ayant besoin d’aide. Enfin de la sollicitude !
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Mon organisme se reconstitue, ma mémoire se rassemble, mais ma vie ? Ma famille ? Mon couple même ? Si j’ai la visite de mes deux sœurs et de mon neveu Damien, si je reçois des nouvelles de Thomas, de Sébastien et Cécile, qui m’écrivent une jolie lettre allumant en moi une étincelle de joie, celles concernant ma femme ne sont pas très réjouissantes. Étant mis en examen, nous n’avons pas le droit de nous voir, nous parler au téléphone ou nous écrire, mais je devine depuis quelque temps que son silence est d’une autre nature. Une prémonition avérée puisqu’on m’apprend qu’elle a rencontré quelqu’un. À vrai dire, je n’en suis guère surpris. Ayant toujours été plus portée sur la chose que moi, j’imagine bien qu’après une incarcération de sept mois elle a eu besoin de se reconstruire une vie affective. Mais moi, moi qui l’aime et ai tenu en détention pour la retrouver, qu’est-ce que je deviens dans ce schéma ? Va-t-on pouvoir se rapprocher ? Notre couple est-il mort ou juste entre parenthèses, en souffrance pour employer une expression appropriée ?
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Afin de ne pas me noyer dans de telles affres, afin de faciliter ma reconstruction, Damien m’a procuré un ordinateur portable dernier cri, avec toutes les fonctions et un disque dur important.
Il m’apprend à m’en servir, m’a déjà préenregistré des musiques de Beethoven, Mozart, Bach ou Vivaldi, me laisse des DVD pour regarder des films et m’apprend le logiciel du traitement de texte pour poursuivre mon journal. De quoi attendre ma sortie, en sursis pour raison médicale, de façon moins pénible.
Contre toute attente, les semaines passent en fait assez vite, même si la totale liberté me fait encore peur. Mais j’ai le temps de me faire à l’idée puisqu’il me reste physiquement maintes
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