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Chronique de mon erreur judiciaire

Chronique de mon erreur judiciaire

Titel: Chronique de mon erreur judiciaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Marécaux
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semaine, puis deux. Une brimade qui, une fois encore, attise ma hargne. Quand je pense à ce gâchis, la colère monte en moi : comment la société pourra-t-elle compenser le préjudice subi par mon fils dont on a volé la jeunesse et la scolarité ?
    À vrai dire, Thomas m’inquiète. Toujours un peu turbulent, il réside dans un milieu difficile et je ne peux rien faire pour lui. Perturbé, il se sent abandonné par sa mère qui, malgré un droit de visite et d’hébergement, le laisse au foyer. La dernière fois que j’ai communiqué avec lui, il m’a confié en avoir assez, désirer s’ouvrir les veines même, ou venir habiter avec moi. Hélas, je dois lui répondre ne pas en avoir le droit et l’inviter à patienter quelques mois. Mais j’en suis sûr, le jour venu, nous obtiendrons notre revanche sur cette société qui nous a condamnés à partir de témoignages fragiles et incohérents. À force de paroles, d’énergie, d’explications, se produit un étonnant renversement des rôles : je tente l’impossible pour lui remonter le moral alors que le mien est bien bas et que, la date du procès approchant, une épée de Damoclès se dessine au-dessus de ma tête.
    L’ennui, c’est que Thomas doit passer devant le juge des enfants pour coups et blessures volontaires. Ayant été traité de bâtard par un de ses petits camarades, il l’a frappé, ne supportant pas qu’on puisse insulter sa mère. Pour tout dire, si une rixe de cette nature était intervenue avant mon incarcération, je l’aurais condamnée, et j’aurais sérieusement tancé mon fils. Mais la prison pouvant endurcir même les plus doux, désormais je lui donne raison.
    Le 30 mars, Thomas a seize ans. Je lui souhaite bien sûr son anniversaire par téléphone mais, voulant absolument marquer le coup – seize ans, c’est important – et apporter un peu de bonheur à ce garçon loin de son père par obligation, je désire lui offrir un cadeau sortant de l’ordinaire. Après une visite chez maître Delarue, dans un hôtel d’Amiens je tombe sur le Ch’ti, journal local décrivant avec force détails les bonnes tables de la région. Je pense d’abord convier Thomas au restaurant, puis je me dis que ce n’est pas assez, qu’il faut quelque chose de plus rare. En parcourant la revue, je tombe sur une publicité vantant la location d’automobiles de luxe. Or Thomas raffole des voitures. Voilà la solution. Mon père me prête de l’argent, et me voilà en route vers la maison de sa marraine le dimanche suivant. Quand il voit tout à coup une immense limousine dont son père descend, sa joie est immense. Et quand je l’emmène déjeuner au champagne dans un excellent restaurant, son sourire et ses yeux qui pétillent me vont droit au cœur. Bon anniversaire mon fils !
    *
    Peu à peu, je retisse les fils brisés. Et je remets des couleurs à la trame de ma vie déchirée. Je recrée des liens avec mon aîné, essayant de le distraire du foyer où il est contraint de séjourner par décision judiciaire, me raccrochant à cette pièce majeure de ma famille, cette cellule si unie avant 2001 qui a volé en éclats.
    Quant à ma fille, restée près de sa mère, et à mon puîné, lui aussi avec elle, je n’ai aucun droit de les voir. Quels déchirements !
    Mais le cours des choses doit reprendre le dessus. Et le quotidien ses droits. Ma mobilité revenue, je sais que, pour me reconstruire, il me faut travailler. Pour cela, j’écris à tous les huissiers du département sans oublier ceux du territoire limitrophe. Les quelques réponses en retour sont presque toujours négatives. Notamment parce que ma profession exigeant une remise à niveau continuelle, mes connaissances s’arrêtent, hélas, au 14 novembre 2001.
    Que faire alors ? En quête d’un travail, j’attends piteusement mon tour sur les bancs de l’ANPE. Tout m’irait : je postule pour de nombreux contrats emploi solidarité d’entretien des espaces verts, de fabrication de fromages, de balayeur, mais à chaque fois ma candidature est repoussée. Motif : j’ai un niveau scolaire trop élevé pour bénéficier d’un contrat d’insertion. Je m’inscris également dans des sociétés d’intérim, sans grand espoir et, à titre anecdotique, je fais même un essai comme agent de sécurité dans une boîte de nuit, et même un casting pour être comédien dans un film. Une expérience riche et cocasse puisque je dois marcher avec dédain devant une reine,

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