Chronique de mon erreur judiciaire
enfants, peut être en liberté tandis que des innocents restent, eux, en prison ? Et là, je réalise ma chance d’avoir été remis en liberté après vingt-trois mois de détention. Ma conviction de ne plus jamais y retourner ne peut que s’accroître en constatant toutes ces incohérences.
*
Avant d’entrer dans les méandres du dossier, il reste à entendre David Delplanque. Qui n’a fait citer aucun témoin, reste secret, apparaît comme un si grand timide que je me demande comment il a fait pour en arriver là. En constatant que peu de questions lui sont posées sur sa personnalité, j’en conclus que tout le monde attend avec impatience l’étude des faits.
Chapitre 31
Le procès, Acte I, scène 3
ou
Place aux « faits »
« Les faits, tous les faits, rien que les faits. Avec preuves à l’appui…» Telle devrait être la logique d’une enquête bien menée ? Mais, en la circonstance, alors que tout le monde – jurés, avocats, journalistes et accusés innocents – attend de se forger une opinion, les fameux « faits » vont se révéler être un peu dénués de réalité.
Quand débute l’interrogatoire de Thierry Delay, celui-ci commence par nier en bloc, « contestant tous les faits », se contentant, interrogé sur le nombre de godemichés retrouvés dans son appartement, d’affirmer qu’ils servaient à son seul usage personnel. En fait, ses réponses les plus fréquentes sont « je ne sais pas », « je ne me souviens pas », « je ne peux pas vous dire », refus de parler qui suscite un brouhaha dans la salle et pousse le président Monier à ordonner une suspension de séance de dix minutes.
À la reprise, alors que depuis le début Thierry Delay tente de faire croire à son innocence, se retranchant même derrière l’argument d’une vengeance personnelle de sa femme pour expliquer les accusations proférées contre lui, un coup de théâtre a lieu. Lorsque son avocat lui demande s’il ne veut pas enfin se décider à soulager sa conscience, Thierry Delay répond qu’il a honte et a bien violé ses quatre enfants Dave, Karim, Johnny et Dirk, en précisant jusqu’à la fréquence de ces faits odieux : « Deux, trois fois par semaine ». Poussant plus loin cette nouvelle – et espérée – politique de vérité, il se met à disculper l’ensemble des autres accusés, à l’exception de son épouse, de David Delplanque et d’Aurélie Grenon. L’homme, à la différence de sa femme, n’avait jamais accusé à tort, préférant jouer les amnésiques ; ses propos explosent comme une bombe. Dans la salle, la rumeur est perceptible. Sur le banc des prévenus, tandis que Myriam gesticule et s’agite à sa place, treize d’entre nous, au fond d’eux-mêmes, poussent un premier soupir de soulagement. En moi, une lueur nouvelle se fait : celle qui m’annonce peut-être la fin du tunnel.
Répondant aux questions des avocats des accusés qu’il disculpe, Thierry Delay persiste et signe. Quand j’entends maître Delarue lui demander si j’ai participé aux faits de viols et lui répondre « non », la bouffée d’air frais ressentie me grise un instant. Je le sais : ce témoignage donne un nouveau tournant à l’affaire et je suis soulagé d’entendre la vérité révélée par la bouche même d’un des agresseurs avérés, « amnésique pendant trois années » ! C’est un virage d’autant plus incroyable qu’il lui a fallu moins d’une semaine pour admettre la supercherie et dédouaner des innocents, alors que trois ans d’instruction n’auront pas permis de lui faire reconnaître ses méfaits.
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Lundi 10 mai 2004. Myriam Badaoui, qui se déplace avec des béquilles, passe à la barre. Va-t-elle suivre la voie de la sagesse prise par son mari ? Hélas non : persistant dans ses déclarations à géométrie variable et sa stratégie de défense consistant à attaquer les autres, elle continue à affirmer que tous les accusés présents dans la salle sont coupables. Premier bémol toutefois, elle revient sur d’anciennes vilenies, admettant que les autres intervenants dans la procédure sont innocents, sauf le médecin de famille, le docteur Leclerc. Son témoignage, digne d’une parfaite comédienne, commence pourtant à en ébranler certains. Son caractère plus diabolique que jamais, pétri de contradictions et d’agressivité, suscite maintes interrogations. Il me semble même que la Cour commence à se faire une idée
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