Chronique de mon erreur judiciaire
Sandrine chez qui j’ai habité plusieurs mois, mes sœurs, mon beau-frère Bertrand, Sylvie, ma meilleure amie connue au lycée à l’âge de seize ans, Jacques mon ex-directeur de centre aéré avec qui j’ai exercé les fonctions d’animateur durant huit ans, et Laurence, une amie de faculté. Attentif, je reçois avec émotion leurs différents propos, sensible à l’affection que tous viennent affirmer en public alors que je suis assis sur les bancs de l’infamie. J’apprends différentes choses aussi : que mon successeur a gardé tous les clients de l’Étude ; que ma nièce est fière de l’amour que ses enfants me portent, moi qui me suis bien occupé d’eux, au point de les laver, de jouer la « baby-sitter » parfaite. Enfin, lorsque Dany évoque le décès de maman, morte de chagrin pour moi, je ne peux m’empêcher de rester cloué sur mon siège, secoué par les sanglots, alors que la salle se vide.
En rejoignant, les jambes chancelantes, les journalistes qui m’attendent, je ne sais que dire, trop pressé de quitter cette atmosphère pesante et d’aller prendre un remontant. Mais là, un nouveau rebondissement dramatique me prend à la gorge : Thérèse m’avertit que mon fils aîné a essayé de se suicider en avalant des lames de rasoir. J’y devine un nouvel appel au secours urgent, mais je ne peux rien faire, étant coincé là, incapable d’aller le voir à l’hôpital à cause du procès. Thomas et moi vivons en symbiose et il ne supporte pas ce qui m’arrive, comme il me le confie peu après au téléphone. Là, j’ai à nouveau envie de mordre, tout ceci me rappelant que l’on a touché à mes enfants !
L’écho de la presse relatant cette journée paraît plutôt flatteur : nous sommes tous décrits par les témoins comme des gens « parfaits » à « l’enfance heureuse, généreux, gentils, honnêtes, intègres ».
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Odile, entendue le jour suivant, bouleverse la cour d’assises. Alors que je viens de l’informer de la tentative de suicide de notre fils, elle pleure à la barre en expliquant combien, dans ces circonstances, témoigner lui sera difficile, puisque elle-même a osé un tel geste, tentative dont elle m’impute une part de responsabilité pour m’être trop investi dans mon travail et l’avoir négligée. Elle fait citer en tant que témoins sa maman, son beau-frère Arnaud et une collègue de travail du lycée où elle a été infirmière scolaire, dont le témoignage ne plaide pas en ma faveur puisque je suis, à ses yeux, un mari absent. Ce dont j’accepte la critique et que je regrette amèrement.
Je suis prêt à reconnaître tous mes torts conjugaux quand un rebondissement imprévu survient : là, devant tout le monde, sans m’avoir jamais averti de quoi que ce soit ou donné une chance de changer, ma femme déclare qu’elle veut me quitter. D’un coup, le monde s’écroule. J’étais sur le point d’admettre des erreurs, mais je ne m’attendais pas à être puni à ce point. Encore une fois, je pleure beaucoup, réalisant seulement en ces lieux solennels que je n’ai pas su rendre mon épouse heureuse, étant trop absorbé par mon travail, trop sévère peut-être, trop absent c’est sûr. Mais au fond de moi une petite voix se demande pourquoi : pourquoi une telle annonce dans un tel endroit ? Dois-je vraiment boire le calice jusqu’à la lie ?
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Surviennent ensuite les témoins de Christian Godard, plus connu sous le vocable du « mari de la boulangère », qualifié d’homme honnête et droit. Ensuite apparaissent les Legrand Daniel, père et fils. Le premier est carrément soupçonné d’être le chef d’un réseau international de pédophilie, ainsi que le propriétaire de nombreux commerces et autres biens, alors qu’il n’a même pas su garder sa petite maison et a failli être expulsé. Il suffit d’observer cet ouvrier métallurgiste de condition très modeste pour se rendre compte que ce qui a été colporté sur lui relève de l’invraisemblable. Quant à son fils, il est bien trop jeune pour avoir commis ce dont on l’accuse.
Enfin entre en scène Aurélie Grenon, l’un des trois dénonciateurs des autres adultes, sorte d’alter ego de Myriam Badaoui. Son audition est différente des précédentes, puisque seul son nouveau compagnon est appelé à témoigner, avec des déclarations floues, empreintes de doutes. Personnellement, je me demande comment cette femme, qui a avoué des viols sur
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