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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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monde d’une tête. Ferme sur son unique
jambe et sur sa béquille, celui-ci était une forteresse imprenable derrière le
rempart de tant d’hommes.
    Ce peuple
dans la diversité de ses métiers (chacun tenait en mains l’outil de son
travail) offrait des mines aussi patibulaires que les douze ruffians de
convoyeurs.
    Tout
était à eux, tout leur appartenait : le marquis et son habit bleu,
Chérubin et son habit blanc, lui aussi saupoudré de céruse et de plâtras ;
l’escalier d’apparat où ils étaient juchés et qu’ils avaient bâti bien avant le
château, imaginant déjà ce que serait l’ensemble et d’où leurs têtes dépassant
les unes des autres offraient le plus beau disparate de physionomies qu’on pût
rêver. Mais si le marquis et Chérubin avaient grande allure, en dépit qu’ils
fussent souillés de plâtras humides, les manœuvres ne le leur cédaient en rien
en dignité. Ils avaient conscience de bâtir un chef-d’œuvre et cette conscience
les magnifiait.
    Profitant
de l’instant de rêverie que la vue de Chérubin suscitait chez son gardien,
Pallio lui échappa et vint se jeter aux pieds du marquis pour lui baiser les
genoux. L’escogriffe à la barbe mal faite qui veillait sur lui tenta de le
rattraper mais le grand nombre de ceux qui se précipitaient pour décharger les
fardiers s’interposa entre lui et son prisonnier.
    Tous les
corps de métier se bousculaient pour toucher au plus vite, être les premiers à
porter la main sur le marbre froid. Ils dressaient les trébuchets, les plans
inclinés, les treuils, traînant les chaînes qui entravaient le chargement,
s’encourageant à coups d’injures, de lazzi, de mollards crachés dans les mains.
    Il était
impossible de résister à cet élan.
    — Monseigneur,
dit Pallio précipitamment, si vous ne réglez pas ces lazzaroni tout de suite,
je suis un homme mort ! Ils me tiennent en vie sur ma promesse ! On
m’a volé votre bourse où il restait de quoi les payer.
    Il ne
s’attarda pas dans cette génuflexion, ayant tout dit d’un seul jet, et
incontinent il se glissa vers Chérubin pour lui faire sa révérence à cul
ouvert. Cette étrange figure de respect lui permettait de regarder l’architecte
en dessous et de vérifier s’il avait changé de visage. Non. Dieu merci,
Chérubin était aujourd’hui aussi chagrin que quatre mois auparavant.
    Il était
beau comme un dieu en son habit blanc mais la tristesse de sa longue figure
exprimait la vanité des vanités et non pas la félicité de l’amour vainqueur.
Toutefois l’inquiétude de Pallio était encore tout effarouchée lorsqu’il
aperçut dans la foule ses frères bien-aimés. Il se précipita vers eux en
criant :
    — Gazzaladre !
Lorenzoni !
    C’était
les prénoms de ces deux Vénitiens, venus de l’on ne sait quels saints. Ils
ouvrirent à Pallio leurs grands bras d’amour, mais avant de laisser éclater sa
joie de les revoir, Pallio leur demanda entre haut et bas :
    — Est-ce
que la marquise fait l’amour avec Chérubin ?
    — Pas
encore ! répondirent les frères en chœur.
    Après
quoi l’on s’embrassa.
    Pendant
ce temps le marquis puisait dans le sac d’écus qu’il portait en bandoulière de
quoi rémunérer généreusement les convoyeurs et il leur faisait servir
collation. Il demeura en leur compagnie tout le temps qu’il fallut et leur
parla familièrement, tenant tout seul le discours puisque ses auditeurs étaient
muets de naissance. Il commanda aussi qu’on dételle les chevaux et qu’on leur
servît un demi-setier d’avoine à chacun. Il les fit boire de sa main.
    Repus et
bien pourvus d’argent, les Calabrais muets s’en allèrent joyeusement,
semblait-il, avec les fardiers et les géants des Flandres. Longtemps on
entendit la sonate pour chevaux seuls qui retentissait autour des colliers de
force et de leurs innombrables grelots. On les perçut jusqu’au loin, retentir,
faiblir, s’estomper et disparaître.
    Les gens
de Gaussan étaient enfin entre eux. Ils se bousculaient pour toucher les
colonnes fabuleuses dont le destin avait été détourné pour venir s’achever ici.
En cette Haute-Provence elles feraient l’orgueil de ce château bâti pour le
bonheur d’amour. Il y en avait six dont deux étaient veinées de carmin : quatre
pour les deux frontons nord-sud et deux qui dévoileraient dès l’entrée la
splendeur du grand escalier.
    Déjà,
Chérubin avait fait s’écarter tout le monde. Quelque chose

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