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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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où les vagues ne savent
que s’entrechoquer.
    Quand, au
quai de Rive-Neuve, la felouque accosta avec précaution, elle risquait, si elle
heurtait le môle, d’éclater comme une grenade. Pallio était à fond de cale
parmi son vomi, hors d’état de gouverner et de prévoir. On le débarqua à quatre
hommes et sans précaution, à côté du tas de colonnes.
    Il lui
sembla entendre le patron dire :
    — Le
diable vous emporte vous et vos piliers !
    — Ce
sont des colonnes, dit-il à bout de souffle.
    — Qu’est-ce
que vous dites ?
    — Des
colonnes ! Pas des piliers !
    Il sentit
également, et sans ménagement non plus, que profitant de son état comateux on
lui faisait les poches. Il se trouva râlant et vomissant encore et sans un sou
(on lui avait même pris sa redingote) juste à côté de son tas de colonnes qui
attendait sagement.
    Passa un
homme, la canne joueuse, et qui portait habit.
    — Que
faites-vous, mon brave, dit-il, avec ces colonnes doriques qui paraissent vous
embarrasser pas mal ?
    — Je
ne suis pas embarrassé et je vous emmerde ! souligna Pallio en vénitien.
    Le
personnage n’entendait pas cette langue mais il comprit l’intention.
    Il
préleva lentement une prise à sa tabatière et parut réfléchir.
    — Vous
en voulez ? dit-il, en tendant sa boîte à priser.
    — Non,
grogna Pallio.
    La
réflexion du quidam se prolongeait.
    — Vous
m’avez l’air d’un bon homme vous ! dit-il enfin.
    — Je
le suis ! s’exclama Pallio effrontément.
    L’homme
referma sa tabatière en déplorant par geste que Pallio ne prisât point.
    — Différentement,
dit-il, j’étais sorti chercher quelque drôlesse pour faire un peu le jeune
homme bien que j’aie soixante et dix ans, mais vos colonnes et votre histoire
que vous allez me conter me paraissent d’un plus grand intérêt qu’une partie
de… hum… plaisir. Qu’est-ce que voulez en faire de ces colonnes ?
    — C’est
pour un château.
    — Mais
moi aussi j’ai un château !
    — Vous
avez un château, vous ?
    — Et
pourquoi pas ?
    — Et
vous vous promenez à pied ?
    — J’ai
ma vinaigrette à deux pas d’ici. Si vous voulez en profiter ?
    Pallio se
dit qu’il lui fallait réfléchir et qu’à tout prendre il le ferait mieux assis
que debout.
    — Ma
foi, dit-il. Au petit bonheur la chance !
    En bon
Italique, il croyait à tout ce que l’on peut croire.
    Le maigre
gentilhomme conduisait sa vinaigrette au petit bonheur et à coups de fouet
réels sur les croupes des deux zinzolins nerveux qui ne paraissaient pas
trouver ça désagréable.
    Il avait
bien un château sur du rocher blanc stérile et blanc lui-même comme un fantôme.
    Ce
château était une énorme bâtisse vaniteuse dont la perspective n’en finissait
pas. Il était au péril de la mer, chevauchant un ensemble de rochers mal
équarris qui pétillaient au clair de lune, face à l’énigmatique île de Maire.
Il n’y avait pas un arbre, pas une plante, seulement ces rochers qui rutilaient
comme s’ils eussent été précieux. La bâtisse faisait ce qu’elle pouvait à
l’aide de la lune pour paraître moins laide qu’elle n’était. Ce n’étaient que
portiques, ce n’étaient que balcons en encorbellement. Sur l’un d’entre eux,
une femme qui paraissait vidée de son sang tant elle était translucide,
s’appuyait à la balustrade où elle se penchait anxieusement pour voir arriver
la vinaigrette.
    — Ma
fille ! soupira l’inconnu. Elle passe son temps à avoir peur pour moi.
    — Pourquoi ?
dit Pallio.
    — Parce
que je m’ennuie.
    — Et
pourquoi vous ennuyez-vous ?
    — Parce
que je ne peux plus bander.
    Il n’y
avait rien à répondre à cela.
    — Avant,
reprit l’inconnu, j’avais les femmes, maintenant je n’ai plus rien.
    Il avait
fait entrer Pallio dans un salon mauresque où tout était faux : les
meubles, les tentures, le plafond aux lustres de strass, les mosaïques du sol.
    « Il
me ment ! se dit Pallio. Même quand il avait les femmes, cet homme devait
s’ennuyer. »
    L’homme
s’était approché d’une petite table de jeu et il battait distraitement les
cartes qui s’y trouvaient éparses.
    — Voulez-vous
me rendre raison ? dit-il en détournant la tête comme s’il avait honte.
    Il
s’était collé contre Pallio et lui chuchotait à voix basse :
    — Vous
comprenez, il n’y a plus que ça qui m’excite ! Je vous joue mon château
contre vos colonnes, car il y a

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