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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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imaginés à foison.
    Cette
fallacieuse perception poussait Pallio de plus en plus vite vers son malheur.
Au loin, il voyait briller les cygnes en groupe qui avaient dérivé dans leur
sommeil vers la margelle du bassin. Leurs têtes lovées vers leur col
s’abîmaient, bien à l’abri de l’existence, sous le duvet du gésier où ils
s’abscondaient pour la nuit.
    Il était
onze heures du soir. Les colonnes couchées dans l’herbe étaient parcourues de
brefs rayons de lune glissant à travers les nuages. Là-bas, la pièce d’eau elle
aussi clapotait sous la lune et formait des risées que Pallio interpréta comme
des clins d’œil.
    Il eut la
présence d’esprit de se dire que le bruit d’un plongeon pourrait alerter
quelqu’un qui s’efforcerait de l’arracher à son dessein. Alors il s’allongea le
long de la margelle. Avec précaution, il se laissa couler dans l’eau calme,
avec souplesse, évitant tout remous, comme un plongeur certain de revenir à la
surface dans quelques instants.
    On découvrit son cadavre au matin, dérivant au gré de la brise. Les
cinq cygnes de la marquise escortaient son errance comme une somptueuse
couronne blanche.
     
    Et
maintenant il y avait trois ans que tous les corps de métier fignolaient
Gaussan pour en faire un bijou bien serti devant Mane et Forcalquier.
Maintenant le va-et-vient était incessant entre Mane et Manosque où prospérait
une briqueterie. On y façonnait l’argile brute sur les cuisses rondes des
ouvrières en rang d’oignon. Elles étaient maigres ou sensuelles ou rétrécies du
col ou largement évasées si le galbe était spacieux. Les couvreurs rêvaient en évoquant
ces rondeurs. Ils manipulaient les tuiles avec douceur, avec précaution, ils
travaillaient en chantant leurs plus beaux airs de gondoliers.
    Dans les
allées couraient trois adolescents exubérants, une fille et deux garçons qui
s’ébattaient, jouant à la guerre.
    Palamède
avait défendu qu’on les élevât à la Cour. Il tenait que ce foyer d’ambitions,
par les valeurs de pacotille qu’il offrait, ne saurait servir que de
trompe-la-mort ; au lieu que les splendeurs de la nature autour de Gaussan
ne pouvaient qu’exalter des âmes sensibles. Encore fallait-il qu’elles le
fussent. Or il n’y avait que la fille pour aimer Gaussan et faire de son arbre
gigantesque l’abri où elle allait méditer sur la vie. Les deux autres ne
rêvaient que batailles et ripailles.
    La fortune
du marquis, sa réputation d’homme juste, l’ancienneté de sa famille et la
glorieuse blessure qui l’avait privé d’une moitié de jambe, tout cela faisait
qu’il était de plus en plus sollicité par le gouverneur de la province. C’était
souvent qu’il faisait atteler pour descendre à Aix débattre avec le parlement
où il opinait dans le corps nobiliaire.
    Il menait
une existence paisible, tout occupé de Dieu et de bonnes œuvres. Gaussan avait
été le cadeau qu’il avait voué à la marquise pour la remercier de ne plus
l’honorer. Parfois l’aiguillon du désir le poignait bien un peu et il en
poussait des soupirs involontaires, mais il offrait à Dieu cette souffrance
raisonnée et vivait des nuits tranquilles, en paix avec sa conscience car il
n’oubliait jamais les transes vécues lors de ces mauvaises couches qui avaient
failli emporter Gersande.
    Mais pour
être dévot, il n’en était pas moins lucide et il avait regardé bien en face la
perspective qu’entre Chérubin et la marquise l’amour puisse naître. Il avait
même préparé le discours qu’il lui tiendrait si, par chance, elle venait lui
annoncer qu’elle était enceinte d’un autre. Il la rassurerait d’abord :
    — N’allez
pas croire, ma mie, lui bonnirait-il, que je me sente outragé. J’ai souvent
pensé que je vous faisais une injustice en vous privant de ce que vous aimiez
le mieux et j’en ai bien pesé les conséquences. Or donc soyez en paix et vivez
votre grossesse en toute quiétude. Pour ma part, je vais aller prier pour vous
comme je le fis lorsque vous fûtes en si grave danger.
    Tout seul
devant son miroir où il s’examinait, il s’était redressé d’un pied à
l’évocation de cette scène qu’il imaginait.
    — Vous
attendiez-vous, ma mie, que j’adopte une autre attitude à votre égard ?
M’avez-vous vu semblable à tous les autres hommes ? Si c’est le cas, c’est
par là que vous m’outragez !
    À son
père pleurant amèrement dans ses bras aux obsèques

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